75 ans de la libération d’Auschwitz : l’horreur remémorée

75 ans de la libération d’Auschwitz : l’horreur remémorée

Arrestation. Déportation. Concentration. Extermination.

Ces mots résonnent aujourd’hui, comme un acouphène, dans la mémoire des survivants mais aussi dans celle des Français, des Européens, du monde entier. Entre le 16 et le 17 juillet 1942, les Juifs ont été victimes d’une des plus importantes déportations de masse. La plupart ont été déportés jusqu’au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. Seulement quelques dizaines en sont revenus 3 ans plus tard, il y a 75 ans. 

Nuit et Brouillard

Nuit du 16 juillet 1942. Les bottes de 7 000 policiers et gendarmes français claquent sur les pavés de la capitale. Réquisitionnés par le gouvernement de Vichy, ils ont un ordre : arrêter tous les Juifs parisiens, qu’importe l’âge, la situation familiale ou la classe sociale. C’est 13 152 Juifs qui sont alors conduits au camp de concentration de Drancy, pour les personnes seules ou les couples sans enfant, ou bien, pour les familles avec des enfants, au Vel D’Hiv. Entassés comme du bétail, incertains de ce qu’il leur est réservé par la suite, l’horreur a commencé à ce moment-là, pour les centaines de familles juives. Près de 8 000 Juifs sont restés des jours entiers, certains jusqu’au 22 juillet, dans le bâtiment du XVe arrondissement de Paris, attendant dans des conditions sordides : pas de couchage, pas de nourriture, pas d’eau potable, peu de médecins, le bruit permanent, des éclairages aveuglants. 

Au milieu de cette horreur, des actes de solidarité – ou plutôt d’humanité – ont contribué à sauver un grand nombre de Juifs qui ont ainsi pu échapper à l’horreur des camps. Pour se donner un ordre d’idée, les quotas fixés par le régime hitlérien et la préfecture de police française sur le nombre de Juifs français à arrêter et à déporter en 1942 s’élevait à près de 30 000.

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de s’échapper, l’horreur a continué après Drancy et le Vel d’Hiv. Les internés de Drancy ont été transférés au nouveau camp d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. Anciennement camp de travail forcé, l’espace a été aménagé en camp d’extermination, notamment « grâce » à sa structure : les rails du train qui amenaient les Juifs par centaines passaient en plein milieu du camp, ce qui facilitait la répartition et le tri des personnes. Pour ceux qui étaient en train de périr au Vel d’Hiv, ils ont d’abord été conduits dans les camps d’internement de Pithiviers et de Beaune-La-Rolande dans la Loire. Les enfants ont vite été séparés de leurs pères, puis de leurs mères, envoyés eux aussi au fur et à mesure à Auschwitz, avant d’y être transférés à leur tour.  

Exterminés industriellement, les Juifs d’Auschwitz ont péri comme des rats pendant trois longues années, asphyxiés par le Zyklon B, fusillés, massacrés. Environ 1,1 millions de Juifs et 300 000 non-Juifs ont été exterminés entre les murs du camp polonais. Le 27 janvier 1945, les troupes de l’Armée Rouge découvrent le camp, les 7 000 survivants et l’existence de la Shoah. Les Juifs sont libérés et ramenés dans leurs pays d’origine. Aucun Juif du Vel d’Hiv n’est rentré. 

75 ans plus tard, les souvenirs persistent 

Vous l’aurez compris, lundi 27 janvier, il y a 3 jours, nous célébrions le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, le 75ème anniversaire de la libération de l’horreur. À cette occasion, plus de 200 survivants de la Shoah ont été invités à témoigner lors de conférence à Auschwitz, aujourd’hui devenue la ville d’Oświęcim. Selon leurs explications, témoigner reste le seul moyen d’honorer les milliers de Juifs qui ont été tués, mais aussi d’éviter que l’holocauste ne se reproduise un jour. Leurs souvenirs permettent aussi de transmettre et de ne pas étouffer l’Histoire, qui doit continuer de résonner. Et lorsque l’on prend conscience qu’en 2020, 1 Français sur 6 n’a pas connaissance de la Shoah, il est temps de s’alarmer sur la façon dont l’Histoire est transmise. 

Trois survivants de la Shoah, présents à Auschwitz cette semaine, se sont très grandement exprimés sur la question. Alina Dąbrowska, âgée de 97 ans, déportée en mai 1943, vient désormais chaque année à Auschwitz avec des groupes de jeunes. Elle explique que « c’est important de conserver cet endroit. Nous pouvons montrer ce qui s’y est passé avec les baraquements et les chambres à gaz (…) Nous faisons tout pour ne pas que cela tombe dans l’oubli ». Même si les trois anciens déportés affirment que les nazis leur ont « enlevé leur humanité » durant la Seconde Guerre Mondiale, ils ont tenté et tentent encore de la regagner en délivrant une part d’Histoire, leur part de l’Histoire. 

Des personnalités, plus que connues sur la scène politique ou culturelle française, ont aussi été victime de la Shoah. Comment ne pas citer Simone Veil, qui est partie dans les convois de la mort à l’âge de 16 ans et demi. Sa famille fût, à l’image de bien d’autres, décimée à Auschwitz. Avec ses deux sœurs, elles ont survécu à l’horreur jusqu’en 1945. Et si nous pouvons remercier Simone Veil pour être devenue un symbole de la lutte pour les droits des femmes en France, nous pouvons aussi la remercier d’être devenue le symbole d’une France juive et meurtrie, d’une France tatouée sur le bras, d’une France qui demande d’être écoutée mais que l’on n’écoutait pas et qui, pourtant, s’exprime. 

La politique est-elle plus forte que la mémoire ?

Malheureusement au fil du temps, Auschwitz, comme tous les mémoriaux de la Seconde Guerre Mondiale et de la Shoah, semble être devenu un lieu apte aux meetings politiques et aux actions de communication. Mais, n’oublions pas que les pays européens n’ont reconnu que très tard leur responsabilité vis-à-vis de la Shoah. Jacques Chirac, alors président de la République, est le premier à reconnaître la responsabilité de la France en 1995, soit plus de 50 ans après. Angela Merkel est la première chancelière allemande qui insiste autant sur la responsabilité de l’Allemagne dans le génocide des Juifs. Selon elle, le souvenir des crimes nazis demeure inséparable de l’identité allemande et ce, pour toujours. Elle rajoute que c’est « une responsabilité qui ne s’arrête jamais. Les Allemands le doivent aux victimes et à eux-mêmes ». Aux Pays-Bas, la semaine dernière, c’était la première fois que le gouvernement reconnaissait qu’il avait été acteur de la déportation des Juifs néerlandais. Le Premier ministre, Mark Rutte, s’est donc excusé au nom du gouvernement et des Pays-Bas pour la contribution du pays à la Shoah. 

Pourtant, les politiques semblent plutôt à l’aise lorsqu’ils se rendent sur les mémoriaux, avec l’excuse du devoir de mémoire, tout en profitant de la situation pour affirmer des opinions plus que politiques et totalement inadaptées au moment. Lundi par exemple, le président polonais Andrzej Duda a accusé et vivement critiqué la Russie, sans jamais citer Vladimir Poutine, à propos de sa responsabilité lors de la Seconde Guerre Mondiale et à propos de la Shoah. Un différend qui existe entre les deux pays depuis des années. Ou encore, alors en voyage à Jérusalem la semaine dernière, justement pour les commémorations de la Shoah, Emmanuel Macron a proclamé que ne pas reconnaître Israël comme un état était un acte antisémite (heureusement qu’il défend cette opinion ceci-dit…). Mais l’altercation qu’il a eue un peu plus tard avec un policier israélien aux abords de l’Église Sainte-Anne et qui fait terriblement écho à la même dispute que Chirac avait eu, lui aussi, avec un policier israélien au même endroit en 1996, pourrait laisser penser que ce voyage n’est qu’un coup de comm’, comme le président français a l’habitude de faire et qui permettrait à Emmanuel Macron d’affirmer encore plus le statut de président de la République, proche et défenseur du peuple.  

Mais les excuses sont-elles suffisantes pour légitimer l’utilisation des lieux de commémoration comme outils politiques ? N’y a-t-il pas des limites à la communication politique ? La reconnaissance justifie-t-elle seulement réellement la mise en scène ? L’apolitique n’a-t-il donc plus sa place dans le monde actuel ? 

 

Camille Hurcy

Crédits photos :  REUTERS/HO-AUSCHWITZ MUSEUM.

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