Terra Nova : on détruit pour reconstruire, ou la vérité du village de Manheim

Rues désertiques, maisons isolées, fenêtres et volets fermés. C’est l’image que l’on rencontre en pénétrant dans le village de Manheim, village dans l’ouest de l’Allemagne que, d’ailleurs, très peu de personnes connaissent. Or, la situation est beaucoup plus d’actualité que l’on ne le pense : la puissante compagnie d’électricité RWE épuise la mine de Hambach en détruisant à la fois la forêt de Hambach et le village de Manheim qui se trouvent à côté, afin d’agrandir le territoire de la mine. Néanmoins, personne ne parle de ce dernier. Pour avertir de la situation inquiétante, Yannick Rouault, étudiant franco-allemand, a pour but d’organiser une exposition de photos, illustrant la destruction du village au fil du temps, qui aura lieu en 2023 à Munich et à Cologne.

On protège la planète. vous en êtes sûrs ?

Les écologistes venus de chaque coin du monde s’angoissent, certes, pour l’état de la forêt de Hambach. Et pas sans motif ! La forêt ne s’étend aujourd’hui que sur 10% de son territoire initial, 90% a été détruit à la suite de l’exploitation des mines à ciel ouvert afin de produire du charbon de lignite. Les travaux sont dirigés par la compagnie d’électricité RWE qui a pour objectif de continuer la déforestation au vu de développer la production de cette ressource d’électricité. Les activistes protestent donc contre la destruction totale de la forêt, d’une part, et contre l’aggravation du réchauffement climatique de la planète, d’autre part. Car cette région est l’une des plus grandes sources de CO2 en Europe.

Pollution de l’environnement, réchauffement climatique, déforestation, ce sont des mots-clés autour desquels émergent de plus en plus de polémiques, tout en laissant s’enfoncer un souci nullement moins grave : le ravage des habitations. C’est le cas du village de Manheim aussi. Aucun bruit autour de cela. Pourquoi cette indifférence, voire ignorance ? La question que Yannick Rouault, étudiant franco-allemand, a l’intention de trancher pour en faire une question commune en réalisant une exposition de photos sur ce sujet, prévue en 2023 à Munich et à Cologne.

Manheim : village en voie de disparition

Manheim est un village à proximité de la mine de Hambach. Il n’a jamais été un village surpeuplé, il y a une quinzaine d’années il comptait quelques 1700 habitants. Mais ces 1700 habitants étaient quand même le signe de vie. En regardant les photos de Yannick, prises sur les rues du village d’aujourd’hui, on a l’impression de regarder un village fantôme, sans aucune vie. On ne se trompe pas beaucoup. Manheim ne compte plus que 100 habitants à l’heure actuelle.

Mais ce n’est pas le Manheim d’antan. D’autant moins que le Manheim d’antan n’existe plus du tout. Le village d’origine fut totalement détruit à cause de l’exploitation de la mine afin d’y gagner du territoire. Que faire avec les habitants ? On va leur reconstruire le village quelques kilomètres plus loin ! Mais la compagnie RWE ne se contente pas de la grandeur du territoire dont elle dispose, elle y installe, en 2016, trois excavatrices pour arracher les parties périphériques du nouveau Manheim ! C’est à ce moment-là où Yannick décide d’aller y prendre des photos d’où l’idée d’un projet sur le long terme. En effet, « je me sens pressé de retourner au village tous les deux mois, ayant peur de rater des étapes significatives de la destruction » explique le jeune photographe d’une voix ténébreuse. Mais oui, puisque tout devient encore plus agaçant quand RWE triple le nombre des excavatrices après que des activistes ont squatté plusieurs maisons à Manheim pour sensibiliser le public à ce sujet. Mais sans succès : RWE accélère les travaux de démolition afin d’empêcher les squatteurs de revenir.

 

Le changement est bien perceptible à travers les photos que Yannick montre. Elles représentent la destruction sur deux ans, mais cela choque déjà. Alors que sur la première photo, je vois une rue au coucher de soleil avec une maison et une jolie église en arrière-plan, sur la deuxième, les rayons du soleil illuminent les ruines de plusieurs maisons. Je crains vraiment ce que je vais voir sur la photo qui vient. Il n’y a plus de maison ; il n’y a que des murs, entourant l’endroit où des maisons se dressaient jadis. Drôle que les plantes poussent encore…

Mais la vie continue à Manheim…

Pourquoi les habitants restent-ils silencieux par rapport à la situation ? Parce qu’on ne leur donne aucun droit d’expression, tout simplement. La compagnie d’électricité leur attribue un certain dédommagement financier pour commencer une nouvelle vie. « Mais ça n’indemnise pas tout. Ni les souvenirs, ni les monuments qui remontent au XIXe siècle » s’émeut Yannick.

Ceux qui choisissent en revanche de rester jusqu’au bout finiront certainement par être déplacés par la police, sous prétexte de l’intérêt général. Du moins, RWE affirme que les travaux de mines servent à toute la population. « Mais une industrie qui oblige des milliers de personnes à quitter leur maison ne peut pas par définition servir à toute la population » présente le garçon franco-allemand de son point de vue.

En effet, ce n’est pas que Manheim qui doit subir cette situation. Il y a beaucoup d’autres villages en état de déplacement à proximité des mines, en outre, RWE détruit également des routes et des fleuves qu’il réaménage ensuite à un endroit qu’il trouve plus approprié en fonction des travaux. Tout cela met, d’ailleurs, un peu de charge sur le plan budgétaire de l’État aussi. Mais bien sûr, la compagnie garde son image, elle revendique une contribution constructive en faisant véhiculer par l’intermédiaire du média une naissance d’une vie toute moderne autour de la région minière et se vante d’un restaurant appelé « Forum Terra Nova », d’une façon créative, qui offrira un superbe panorama sur un paysage trop idyllique. Eh bien, et trop artificiel. Ne parlant pas de l’autre côté de la mine qui, avec une allure oppressante, est en train de périr.

Et qui aura t-il dans cinq ans ? On le verra à travers les photos lors de l’exposition de Yannick. Heureusement que l’appareil capte le présent pour pouvoir le transmettre dans l’avenir comme mémoire, mémoire soit individuelle soit collective. Mais nous dirions plutôt collective, parce que c’est l’affaire de chacun de nous, d’autant plus que l’appareil n’est capable de garder que l’image et non pas l’état du présent.

 

Fanni Filyó

Crédits photos : Yannick Rouault

Pour plus d’informations contacter Yannick Rouault sur Instagram :

Instagram : @lieferanteneingang

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