Entre faire défiler le catalogue Shein où les prix excèdent difficilement les 25 euros, dont l’exhaustivité garantit la satisfaction immédiate de la clientèle et, examiner une penderie saturée de hardes sans savoir d’abord, si le vêtement va plaire puis, s’il sera à la taille : analyse d’une demande de produits de seconde-main au budget rétréci, lookée et soucieuse de son avenir.
Aujourd’hui, il y a dans le fait de passer en revue un vrac de vêtement, l’idée de chercher un trésor du passé dont on ne sait même pas s’il existe.
A contrario, l’exhaustivité du catalogue Shein garantit la satisfaction du consommateur par la rencontre immédiate entre offre et demande.
Mais à quel prix ?
Car dans le contexte d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat depuis octobre 2021, certains, conscients de l’empreinte écologique et des normes de production contestables de l’industrie textile, se posent la question du coût du vêtement fashion, éthique et durable.
A l’intérieur de la friperie Episode (rue Tiquetonne, Paris 2e), la majorité des clients est bien apprêtée. Baggy jeans, sweat-shirt oversize, chemises à carreaux et survêtements ultra colorés : les nippes de Jordan Catalano, du Prince de Bel-Air et des Spice Girls ont bien trouvé leur place dans la garde-robe de la clientèle et sur les pendants de la friperie.
Mais également sur le catalogue de la boutique en ligne Shein. Rien d’étonnant quand on sait que les enseignes fast-fashion puisent leurs inspirations de formes, de motifs et de texture dans la variété de vêtements proposés en friperies, nous disent les vendeurs.
Il n’y a d’ailleurs pas que le style de vêtements proposés par la boutique qui est compatible avec la panoplie de vêtements Shein, les prix sont eux-aussi relativement égaux : pour une tenue vintage classique « bombers – sweat-shirt – t-shirt – jean droit » (chaussures exclus puisque peu sont ceux qui daignent acheter leurs chaussures en friperies ou sur Shein), le montant culmine aux alentours de 80-90 euros, en friperie comme sur Shein.
Mais, en sortie de boutique, les clients interviewés nous parlent un langage complètement étranger à l’univers de la fast-fashion. Il est question de « chinage », « d’unicité du produit » de « solidité » et de « consommation responsable ».
« C’est le côté éphémère de la consommation d’aujourd’hui »
Le « chinage » est défini par Adrien, habitué d’Episode, comme une « chasse aux trésors », largement facilitée sur Shein par une barre de recherche bien apparente en haut à droite du site.
Alors, en boutique, la fourchette de temps dépensé à la recherche d’une ou plusieurs pièces s’établit entre 45 minutes et 1 heure là où elle se compte en dizaines de minutes sur Shein.
Quant aux interviewés, ils sont pour la grande majorité des étudiants s’ils ne se situent pas plus généralement dans une tranche d’âge allant de 16 à 26 ans. Tous affirment s’être dirigés vers la friperie en partie pour des raisons économiques. Certains considèrent même que leur budget mode s’est amoindri depuis octobre dernier malgré le chèque énergie. A noter que la population étudiante est particulièrement touchée par la crise : selon une étude de l’Unef (Union nationale des étudiants de France) sur le coût de la vie dans l’enseignement supérieur, les étudiants auraient eu 247,38 € de plus à payer en 2021, soit une hausse de 20,61 € par mois.
Mais faute de prioriser la moins chronophage et énergivore des deux marques, il ressort des entretiens que d’un point de vue seulement financier, l’élément économique décisif qui porte le consommateur vers la seconde-main plutôt que vers l’enseigne fast-fashion est la certitude que le produit lui durera plus longtemps : « je préfère investir mon argent et un peu plus de temps dans l’achat d’un t-shirt qui a déjà survécu à une première vie et qui en vivra bien une deuxième, plutôt que d’acheter un t-shirt que je devrai renouveler dans 6 mois et qui ne tiendra pas 3 fois ma machine à laver » accuse Anna, non sans méfiance à l’égard des produits « Bershka » et « Shein » qu’elle cite clairement.
« Les gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. C’est le côté éphémère de la consommation d’aujourd’hui», complète Adrien.
Les produits vendus par Episode sont, en effet, essentiellement sortis d’enseignes iconiques des années 90’s. Au sous-sol, un pendant entier de plus de 2 mètres de long est entièrement consacré aux jeans Levi’s 501, celui d’en face l’est aux pantalons Wrangler. A l’étage supérieur, on trouve des t-shirts Fruit of the Loom, figurant des imprimés allant de pochettes d’album d’AC/DC aux logos d’équipes universitaires de football américain, les mêmes que ceux qui ornent les pulls Champion USA du pendant d’en dessous.
Plus relatif au budget encore, certains admettent se rendre régulièrement vers des enseignes type Emmaüs ou Guerrisol, qui sont d’autant plus abordable qu’elles proposent des t-shirts 5 fois moins cher que chez Episode.
La consommation dans une friperie un peu plus regardante sur la qualité du produit proposé à l’instar d’Episode permet certes un look probablement plus frais et une étiquette responsable, mais elle n’est pas la moins chère. Pour une demande à petit budget avant tout, c’est une donnée qui pèse dans le choix de la boutique.
« Franchement… Y’a des trucs propres [en parlant d’Emmaüs]. Pour la petite, on a trouvé un polo Ralph Lauren la dernière fois » confesse Paul, jeune papa, bien à l’abri sous une casquette des Lakers. Il est donc possible d’y trouver un bon produit, certes bien entamé, mais en bon état.
La seconde-main assure donc peut-être une réponse solide à une demande aux petits budgets, lookée et responsable, mais à un prix plus élevé que celui affiché sur les étiquettes.
Le vrai coût de la friperie
Le chinage a un coût de temps et d’énergie important et insoupçonné, comparé à Shein.
L’environnement olfactif, visuel et auditif de la friperie est particulier : tous les interviewés affirment faire régulièrement leur shopping en friperie. C’est un travail d’habitué, qui oblige en outre au transport, puisque les friperies de taille adaptée à une demande exigeante ne courent pas les rues.
De plus, le commerce de seconde-main n’est pas un bloc monolithique : toutes les friperies ne se valent pas et certaines sont financièrement plus accessibles que d’autres. Il y a un choix non-négligeable à faire entre le bas et le haut de gamme (type Gerrisol – Episode) pour ceux dont le budget ne permet pas un panier de 4 articles à 50 euros.
Tout un ensemble de contraintes qui ne semble pas décourager les consommateurs aux petits budgets, particulièrement regardant sur l’originalité et l’éthique. Et qui corroborent bien l’idée que leur conception du bon produit l’emporte sur le moindre coût de la consommation en fast-fashion.
Crédits photo : épisode
Bonjour, je m’appelle Clément Pasquet-Etchebarne, j’étudie en Master d’Histoire, Géopolitique et Relations internationales. Je suis passionné d’Histoire, de philosophie et de sports de combat. J’aime croiser ces disciplines entre elles, je crois que ça m’aide à voir le monde sous un angle intellectuel et sensible.