« Parce que Napoléon le rapporta », du gâteau cheminée au gâteau à la broche

« Je vends le gâteau cheminée en France parce que Napoléon le rapporta dans les Pyrénées françaises, et comme ma sœur habitait là-bas à cette époque, rien de plus simple que ça, j’ai décidé d’y aller tenter ma chance » rigole András Csuha, vendeur hongrois qui s’est installé à côté de la Grosse Cloche de Bordeaux afin de vendre cette brioche hongroise traditionnelle. Nous l’avons interrogé dans le but de mettre en lumière la question : à quel point l’identité nationale peut-elle se mesurer dans les liens entre les différents produits traditionnels à travers leurs aspects historico-idéologiques ?

Il était une fois…

…le gâteau à la broche

Stéréotype ou pas, les habitants de l’Hexagone s’avèrent être plutôt fiers de leur histoire nationale, laquelle fierté se manifeste aussi au niveau culinaire, bien entendu. Le gâteau à la broche, préparé traditionnellement dans les Hautes-Pyrénées, connaît une appréciation patriotique si forte que « les habitants des vallées refusent même de gouter le gâteau cheminée hongrois, en disant qu’ils ne mangent que des produits français », raconte András d’après son expérience. Mais dans quelle mesure le gâteau à la broche est-il français ?
Selon la tradition orale, lors de leur campagne à l’ouest, les soldats de Napoléon découvrirent une fabuleuse brioche qui les émerveilla tellement par son goût inconnu qu’ils décidèrent de ramener la recette avec eux. Dès lors, tous les Français s’en réjouissèrent. En effet, ce n’est pas étonnant qu’un produit national trouve racine autour des événements historiques glorieux de la nation qui, ainsi, forment l’identité nationale. De ce fait, on prête une valeur plus prestigieuse au produit, laquelle valeur réunit le peuple et renforce encore l’identité. Personnage emblématique de la France, Napoléon importe donc le gâteau dans le pays. Bon, il l’importe, mais d’où ?

… le gâteau cheminée

Hors des frontières de l’Hexagone, dans un tout petit pays s’appelant Hongrie, il existe un gâteau : le gâteau

cheminée. Sa naissance remonte à une époque beaucoup plus lointaine que celle de Napoléon : on est au XIII siècle. Menacé par l’invasion des Mongols, le peuple de Transylvanie se cachait dans une cave où ils étaient bloqués par la troupe mongole qui avait pour stratégie d’affamer leurs prisonniers jusqu’à la mort. Or, les Transylvains rusés vinrent à bout de cette situation : ils rassemblaient le reste de la farine et de la cendre, cuisaient l’amalgame, et voilà, bienvenue le gâteau cheminée. Les soldats mongols, surpris de la réussite de leurs captifs, battirent en retraite, tout fâchés. C’est donc ce gâteau inventé le couteau sous la gorge qui fut rapporté par les soldats de Napoléon.

Bien sûr, c’est trop beau pour être vrai. On y retrouve la même volonté de glorification que dans le cas du gâteau à la broche. L’invasion des Mongols est, d’ailleurs, un point sombre dans l’histoire de la Hongrie. Il est donc profitable d’y mettre un peu de couleur en attribuant la naissance d’un produit national apprécié à cet événement de mauvaise fortune. Chaque nation invente sa propre identité en donnant l’explication à des origines restées dans le brouillard. Mais même s’il s’agit d’une origine ambiguë, il est incontestable qu’une parenté entre le gâteau à la broche et le gâteau cheminée existe et que la version traditionnelle que l’on consomme aujourd’hui vient de Transylvanie. De Transylvanie, donc pas de Hongrie ?

La vraie histoire du gâteau

La Hongrie d’aujourd’hui n’est pas la Hongrie d’il y a un siècle. Le 4 juin 1920 : la grande victoire ou bien la grande chute ? Du point de vue de la Hongrie, c’était une chute, trop grande chute, notamment de deux tiers. Deux tiers en vertu du traité de Trianon, on arracha cette énorme partie périphérique de son territoire, dont la Transylvanie qui fut rattachée à la Roumanie. C’était une première guerre mondiale. Ensuite vint l’autre, la seconde guerre mondiale, après laquelle tout devint pire avec l’apogée du communisme, imposant son austérité idéologique.
Le pouvoir envahisseur <,qui n’est autre que l’Union Soviétique, s’efforce d’effacer toute la mémoire liée à l’identité avant le traité de Trianon. Or, préparé en Transylvanie, « le gâteau cheminée devient le symbole de la Transylvanie de nationalité hongroise, raconte András, et pour cette raison sa vente a été interdite en Hongrie », afin d’éviter les agitations de masse au nom de l’identité nationale. « On voulait rester tranquilles » selon les mots du marchand Hongrois.

Le côté positif fut qu’en même temps, le gâteau envahit au fur et à mesure toute l’Europe, dont la Slovaquie, l’Allemagne, l’Autriche, la Turquie et la France – la Hongrie est le seul pays où l’on ne voit aucune de ces brioches dans les rues durant ces années-là. Mais de toute façon, la diffusion du gâteau permit à chaque pays de le transformer selon son propre goût, donnant naissance à de nouveaux produits culinaires portant des noms différents et transmettant des valeurs nationales différentes de celui du hongrois, c’est l’origine du gâteau à la broche.

Quoi qu’il en soit, sans remuer les petits conflits internationaux, on peut éprouver une fierté nationale en laissant grandir de nouveaux liens entre nations, comme le fait András lui-même en vendant le gâteau cheminée hongrois au parfum de Spéculoos belge, parfum populaire en France mais n’existant guère en Hongrie. Si vous ne le croyez pas, allez voir par vous-même !

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