A l’âge de 14 ans Moussa quitte la Côte d’Ivoire en quête d’un avenir plus supportable. Entre son périple semé d’embuches, les désillusions à son arrivée et ses projets, ce jeune conte une histoire qui reflète la triste réalité de beaucoup d’autres migrants.
Traversée : entre rêve et cauchemar
C’est en 2019 que Moussa prend la mer en direction de l’Europe. Cette décision, il la prend car il n’a plus le choix : à la suite d’un accident, son père est contraint d’arrêter de travailler et c’est sa mère, seule, qui subvient aux besoins des quatre enfants de la famille. Sans argent, Moussa n’a pas d’autre option que l’école coranique franco arabe (la seule gratuite), dans laquelle il étudie essentiellement le coran. « A l’école on nous battait si on n’avait pas la bonne réponse » raconte-il. Sa mère vend sur le marché mais ses revenus ne sont pas suffisants pour nourrir décemment la famille. C’est donc la faim qui pousse Moussa à fuir son pays. Il part d’abord chez son oncle à Abidjan, la capitale administrative du pays. Il y reste quelques mois durant lesquels il cire les chaussures des passants dans la rue. C’est là qu’il fait la rencontre d’un homme avec qui il se lie d’amitié. Au bout d’un certain temps, l’homme, touché par son histoire lui propose de l’accompagner jusqu’au Maroc pour son travail. Moussa accepte avec enthousiasme. « C’était la première fois que je voyais des personnes à la peau blanche, je n’avais jamais quitté le pays » explique-t-il. Il ne dit rien à personne et prend la route avec son ami. Ensemble, ils traversent le Burkina Faso, le Niger, et l’Algérie. Arrivé au Maroc, l’homme lui explique qu’il connait quelqu’un pouvant le faire traverser jusqu’en Espagne. C’est sa chance, il n’aura pas d’autre opportunité que celle-ci pour changer de vie.
Moussa travaille durant 3 mois en tant que maçon, sa paie il ne la voit jamais, elle va directement dans les poches du passeur. Un soir, on l’emmène au port : le moment est venu de prendre la mer. Sans hésitation, Moussa monte à bord d’un bateau pneumatique, aux côtés de 75 autres migrants de tous les âges. Il est 2h du matin, la nuit est assez épaisse pour que les gardes côtes marocains ne les repèrent pas. Le jour est déjà levé depuis un moment lorsque le petit bateau arrive proche de la côte espagnole, mais le trajet est loin d’être fini. Le moteur lâche et le zodiac commence à dériver. Alors qu’il croyait que le pire était passé, les boudins du bateau se percent. La panique qui régnait à bord s’intensifie. Moussa n’y croit plus. Autour de lui, des enfants pleurent et des adultes font leurs dernières prières. « J’étais épuisé, je ne trouvais plus la force de rester éveillé : pour moi c’était fini » se rappelle-t-il. Soudain, les lumières d’un hélicoptère balayent la mer, tout l’équipage se met à hurler. Quelques heures plus tard, un navire des « salvamento marítimo » (gardes côtes espagnols) s’approche des naufragés. Un soupir de soulagement s’élève du bateau.
Europe : une épreuve de plus
Après avoir été secouru en Espagne, Moussa est placé dans une cellule de prison à Almeria pendant 3 jours puis est pris en charge par une association d’aide aux migrants. Mais déjà il souhaite repartir, il peine à se faire comprendre dans ce pays dont il ne parle pas la langue. En Côte d’Ivoire, la langue officielle est le français, c’est donc naturellement que le jeune migrant monte dans un train en direction de la France.
En Février 2020, Moussa arrive à Bordeaux. Il y passe une semaine avant de réaliser que les services d’aide aux migrants sont trop engorgés. Il quitte la ville pour un dernier voyage vers La Rochelle. Il a 15 ans à ce moment-là. Il est donc pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui s’occupe des procédures judiciaires à l’arrivée des « mineurs isolés » (les jeunes de moins de 18 ans n’ayant pas la nationalité française et se trouvant séparés de leurs représentants légaux sur le sol français). Comme pour les autres jeunes migrants, Moussa doit passer un entretien d’évaluation pour déterminer son âge. Il raconte toute son histoire à un agent, puis, sur la seule base de ce récit, un comité décide qu’il ne peut pas obtenir le statut de « mineur isolé ». Le département ne peut donc pas le prendre en charge. Moussa est dépité mais reste déterminé : il demande un recours à cette décision qu’il considère injuste. C’est un juge pour enfant qui réévaluera son dossier. Mais cette procédure peut prendre du temps : d’un à 14 mois. En attendant, il est en situation d’illégalité et ne peut pas être placé en foyer. Plusieurs familles (faisant parties de l’association solidarité migrants) se portent donc volontaires pour l’accueillir. Pendant près d’un an, Moussa passera de maison en maison, attendant patiemment son prochain jugement.
Janvier 2021 : la nouvelle décision tombe enfin, le juge accepte le recours et Moussa est finalement reconnu « mineur isolé ». Une bénédiction pour le jeune migrant, qui aurait dû quitter La Rochelle et réitérer cette interminable procédure dans le cas contraire.
Espoirs et attentes
Avec la sagesse de ceux qui ont vécu des épreuves, Moussa raconte les difficultés du début, la gêne de s’immiscer dans la vie des familles, surtout avec cette culture qui lui était si étrangère. Depuis, il a pu nouer des liens et son français s’est amélioré. « Avant je cherchais mes mots à chaque phrase, maintenant je ne réfléchis plus quand je parle » explique-t-il. Cette progression ? Il la doit aux leçons que les familles lui ont données mais surtout aux enseignements qu’il reçoit depuis quelques mois par l’association « solidarité migrant » de La Rochelle.
Même si Moussa s’est attaché aux familles qui l’ont accueillies depuis son arrivée en France, il attendait avec impatience cette nouvelle étape : « C’était fatiguant de changer de maison toutes les 2 semaines, je peux enfin m’installer pour de bon ! » explique-t-il enthousiaste. Grâce à son nouveau statut, le jeune homme recevra un droit de séjour qui lui permettra de résider en France légalement. Récemment, il a été placé dans un foyer où il partage un appartement avec un autre migrant de son âge. Bientôt il pourra aussi débuter une formation avec les compagnons du devoir et travailler pour l’entreprise qui lui avait fait une promesse d’embauche. « Tout ce que je souhaite c’est commencer ma formation pour pouvoir travailler et envoyer l’argent à ma famille restée en Côte d’Ivoire, c’est eux qui m’ont donné la force de prendre la mer ».
En 2018, près de 17 000 mineurs isolés* avaient, comme Moussa, risqué leurs vies pour atteindre la France. Entre le peu de place disponible dans les foyers, la longueur des procédures et l’insécurité dans laquelle ils se retrouvent durant celles-ci, la France, comme beaucoup d’autres pays européens, est loin d’être l’Eldorado auquel ils rêvaient.
Telma Valero
*selon info migrants
Crédits photo : AFP/Getty Images, Africa Map CIA gov
Étudiante en information communication et espagnol, toujours prête à m’exprimer sur les sujets qui me touchent !