« Les Ogres » : Ceux qui dévorent la sécurité de nos enfants

« Les Ogres » : Ceux qui dévorent la sécurité de nos enfants

Le 18 septembre de cette année sortait « Les Ogres », le livre-enquête de Victor Castanet. À l’intérieur, il y dénonce, et non sans preuves, les dérives d’un secteur qui touche les plus jeunes d’entre nous : celui des crèches privées. A travers 416 pages, le journaliste d’investigation pointe du doigt ce que nos élus essayent tant bien que mal de mettre sous le tapis : la recherche excessive de profit au détriment de la sécurité de nos enfants.

Victor Castanet n’est pas à son premier coup d’essai quand il s’agit de s’attaquer au Grand Méchant Loup. En 2022, il avait déjà fait trembler les géants du domaine médico-social lors de la sortie de son livre « Les Fossoyeurs », dans lequel il dévoilait au sein des EHPAD, les nombreuses maltraitances et pratiques d’optimisation fiscale. Provoquant le Scandale Orpea, c’est aujourd’hui le tour d’une autre enseigne et cette fois du secteur des crèches privées : le groupe People&Baby. Pourtant, ce n’est malheureusement pas la première fois que l’entreprise est mise à mal. Il y a 2 ans, dans une de leur crèche à Lyon, une petite fille de 11 mois, Lisa, a été retrouvée décédée après qu’une des salariées de l’établissement l’a forcée à ingérer un produit ménager.

Les découvertes de l’investigation

Alors que ce drame survenait, Victor avait déjà débuté son enquête après plusieurs mails d’alerte et avait échangé avec plus de 200 témoins : parents, salariés ou ancien employés. Il découvre alors que dans certains établissements du groupe, des directeurs se voyaient forcés d’accueillir plus d’enfants qu’ils n’étaient autorisés et bien sûr, dans le plus grand des secrets. L’entreprise pratique l’optimisation fiscale : des directrices forcées de déclarer des fausses heures de présence de bébés pour toucher plus d’argent public ou encore d’inventer de faux devis de travaux pour toucher des subventions versées par la CAF, et bien plus. Manque de matériel, de nourriture, burn-out de salariés, le surnombre d’enfant amenait à des conditions de travail déplorables. Mais les adultes n’étaient pas les seuls touchés : couches constamment pleines, privation de repas, violences morales jusqu’à physiques, les enfants en pâtissent peut-être beaucoup plus que les professionnels.
À Lille, dans une des crèches, neuf enfants en ont été victimes : « Ces enfants font encore des cauchemars réguliers, il y a eu des retards de développement et des problèmes de sociabilisation » nous explique-t-il, avec « des coups, griffures, humiliations, privations ». Aujourd’hui, les accusés sont poursuivis en justice, mais les victimes, âgées au moment des faits entre 4 mois et 3 ans, sont celles qui souffrent toujours des traumatismes infligés.

Couple fondateur ou Couple stratège ?

People&Baby a chaque année, depuis plus de 20 ans, des déficits d’argent importants, sans pour autant réussir à remonter la pente, qui commence à se faire de plus en plus raide. Une question reste alors en suspens, pourquoi, après tant d’années de perte, le groupe n’a pas enfin changé sa façon de gérer ses finances, qui, on peut le dire, est très irrégulière ? Et surprise… Victor découvre que le couple fondateur, Christophe Durieux et Odile Broglin, est propriétaire de nombreux locaux qu’ils louent à People&Baby, et c’est eux-mêmes qui fixent les prix, car ce sont les seuls actionnaires. En partie grâce à cette stratégie, ils se sont alors fabriqués un patrimoine immobilier de plus de 150 millions d’euros. Il n’y avait alors aucun intérêt à ce que le groupe génère du profit, puisqu’ils auraient dû malheureusement payer des impôts et des primes aux salariés…
Après les secrets du premier gestionnaire indépendant français de crèches dévoilés, on commence tout juste à apercevoir l’iceberg et il n’est pas seul. La Maison Bleue ou encore Les Petits Chaperons Rouges, toujours des crèches privées, pratiquent elles aussi le « lowcost ». C’est ce qu’on appelle la rentabilité à tout prix : pour conquérir le marché, on casse le prix des berceaux et, si on augmente leur quantité, c’est que l’on fait passer la qualité en dernière priorité.
Mais Victor Castanet nous l’explique de façon très claire, si ces entreprises font autant parler aujourd’hui, c’est surtout parce qu’elles représentent un symbole : celui de l’abandon d’un secteur par l’Etat, laissé dans les mains d’une privatisation à outrance. Si la mort de la petite Lisa a été causée par une employée de People&Baby, la responsabilité des ministères et des pouvoirs publics n’est pas bien loin. De nombreuses mairies et collectivités partout en France, confiant la gestion des crèches à des opérateurs privés, ont donc préféré choisir l’offre la moins chère au détriment de la qualité.

Manigances politiques et entente secrète

Puisque l’on parle de choix de politique, on peut aussi mentionner que dans Les Ogres, il dénonce une ancienne ministre des Solidarités et de la Famille, qui est impliquée : Aurore Bergé. Elle aurait entretenu des accords secrets avec une responsable de la Fédération des Entreprises de Crèches et la consigne est bien claire : si les groupes de crèches privées soutiennent la politique du ministère, elle ferait alors l’impasse sur leurs agissements. Ne peut-on donc vraiment plus faire confiance à ceux censés oeuvrer pour de nobles valeurs, telles que la cohésion sociale, la famille ou la solidarité ? Notre auteur n’est pas le seul à alerter ; avant lui, Le Prix du berceau de Daphné Gastaldi, Mathieu Périsse, et Babyzness de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette dénonçaient les cas de maltraitance au sein de crèches privées. Il y a aussi le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales qui mettait en garde sur : « la faiblesse du taux d’encadrement, la pénurie de professionnels et des contrôles insuffisants dans un secteur privé en pleine expansion ». Nos dirigeants étaient, pour le moment, incapables d’entendre ces appels à l’aide sur ce fonctionnement à la dérive, pourtant « Les Ogres » de Victor Castanet est un souffle d’espoir pour qu’ils tendent enfin l’oreille. Mais comment se battre quand ceux qui sont censés protéger nos enfants se retrouvent être les ogres que nous craignions tant ?

Mouna Bonnet

 

Crédits photos : Cheryl Holt/pixabay.com

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