« Les graines du figuier sauvage » : quand le cinéma affronte le régime politique

« Les graines du figuier sauvage » : quand le cinéma affronte le régime politique

Acclamé au Festival de Cannes 2024 et gagnant du prix spécial du Jury, Mohammad Rasoulof raconte l’histoire d’une famille divisée par ses opinions envers le régime iranien. Une intrigue aussi prenante que ses conditions de réalisation.

           Emprisonné en Iran pour ses idéaux et ses films au moment de la mort de Mahsa Amini en septembre 2022, Mohammad Rasoulof est révolté par les évènements. Il se promet de réaliser un film une fois libre. En décembre 2023, sachant qu’une nouvelle sentence est proche, il commence à réaliser Les graines du figuier sauvage. S’entame alors une réalisation qui pourrait être qualifiée de clandestine mais pour Rasoulof « c’est encore plus fort que ça ».

           L’équipe tourne en cachette, le plus souvent Rasoulof n’est pas sur le plateau et dirige à distance la réalisation. Chaque nouvelle image est envoyée en Europe pour les préserver. La première version du film est déjà montée en avril 2024 et au début du mois de mai, Rasoulof est condamné à 8 ans de prison, à des coups de fouet et ses biens lui sont confisqués. Il est contraint de rester sur le territoire iranien, seulement, il réussit à s’enfuir de prison et après avoir atteint la frontière à pied, il se réfugie en Allemagne. Quelques jours plus tard, Les graines du figuier sauvage est sélectionné au festival de Cannes. C’est en brandissant des photos des acteurs Soheila Golestani et Missagh Zareh qui n’ont pas pu fuir l’Iran que Mohammad Rasoulof et son équipe montent les marches.

« Si votre désir est de ne pas fléchir devant la censure, vous trouverez les moyens de raconter vos histoires. »

– Mohammad Rasoulof

 

Entre fiction et réalité 

           Un père qui travaille pour le régime iranien, une mère au foyer, deux filles adolescentes qui voient les femmes de leur pays se révolter pour leur liberté. La famille arrivera-t-elle à rester unie face au contraste d’opinion qui plane dans le foyer ? Voilà l’intrigue que propose Mohammad Rasoulof.

           Iman, père de Rezvan et Sana et époux de Najmeh, se voit promu au rang de juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. N’ayant d’autre choix que de fléchir devant les ordres qui lui sont donnés, il s’engage à faire respecter et à incarner la dictature religieuse de son pays. À la maison, Najmeh se réjouit d’annoncer la promotion d’Iman à leurs filles, elle qui donne son âme pour la prospérité du foyer. Veillant au bonheur de ses filles et à la réussite de son époux en l’épaulant à chacun de ses dilemmes, Najmeh incarne une mère protectrice et médiatrice.

          Au même moment, Mahsa Amini est arrêtée et maltraitée pour port non conforme du voile et meurt en garde à vue. Des femmes et des hommes protestent dans les rues de Téhéran. C’est la naissance du mouvement Femme, Vie, Liberté. Une violence sans nom s’acharne sur les manifestant.es qui laissent couler leur sang au nom de la désobéissance face à la dictature. Rasoulof choisit de faire apparaître les vraies vidéos des manifestations et agressions répandues sur les réseaux sociaux aux moments des faits que l’Iran tente de censurer. La fiction des graines du figuier sauvage s’ancre alors dans la réalité. Ce n’est plus une histoire sur un grand écran, c’est la vérité de millions de vies. Le monde digital omniprésent dans le film fait office de refuge, un nouveau pan culturel de l’Iran.

           Rezvan et Sana, concernées et bouleversées par les évènements choisissent leur camp. La prise de parole des filles, l’autorité et la méfiance du père ponctuées des tentatives d’apaisements de la mère créent une tension qui ne redescendra jamais. Des situations de plus en plus conflictuelles feront tomber les masques et dévoileront la nature des personnages plongeant ce drame dans le registre du thriller.

 

Un portrait familial intime et sociologique

       Pour le réalisateur, son film traite avant tout des « relations humaines et non pas d’une confrontation ». Pourtant, le spectateur ne peut s’empêcher de percevoir au travers de la famille la déchirure de la société iranienne. D’un côté, le père rappelle la loi qui condamne et exécute l’opposition politique. De l’autre, les adolescentes représentent le tourment et la tentative de libération de la parole de la femme sous l’oppression.

      Cette oppression se ressent aussi à travers le jeu des acteurs puisque l’équipe elle-même, lors du tournage, risquait de se faire arrêter par les autorités à chaque prise. Le public ne peut que s’émouvoir devant leur bravoure qui fait du cinéma un acte de révolte.

     Promesse tenue, Mohammad Rasoulof en refusant son statut de « cinéaste victime » donne une voix à celles et ceux qui n’en n’ont pas. En se battant pour la diffusion de son art, Mohammad Rasoulof donne aussi des yeux à celles et ceux qui n’osent pas voir.

 

                                                                                                                                      Jo’anna Boutros

 

Crédits photo : Festival de Cannes – Les graines du figuier sauvage

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