Le débat concernant l’éventuelle légalisation du cannabis revient souvent sur les scènes médiatique et politique, et l’a été à nouveau avec la récente consultation citoyenne sur la question. Si les usages du cannabis se séparent en plusieurs catégories : thérapeutique, « bien-être » ou encore récréatif, en France, sa consommation et production sont strictement interdites. Entre santé, économie et commerce, revenons sur les enjeux clés de ce débat.
Des français en faveur d’une légalisation
La consultation citoyenne, qui s’est déroulée du 13 janvier au 28 février dernier, a été lancée par une mission d’information composée de 33 députés. Au cours de cette consultation, plus de 250 000 français ont été questionnés dans le but de dresser un bilan sur le cannabis en France, un bilan sans équivoque.
En effet, 80,8% des français interrogés se disent d’accord pour la légalisation de la consommation et de la production de cannabis dans un cadre régi par la loi. Il en va de même pour la production personnelle en cas de légalisation ou dépénalisation, à laquelle 80,6% se prononcent en faveur, toujours dans un encadrement juridique. Le commerce du cannabis est envisagé selon plusieurs scénarios : dans des boutiques spécialisées, en vente régulée comme l’alcool, en bureau de tabac ou encore en vente libre.
À l’opposé, seulement 4,6% des interrogés sont pour un renforcement des sanctions, et enfin, une minorité évaluée à 0,8% souhaite un maintien du cadre légal en vigueur.
De cette consultation, la conclusion semble claire, pourtant la situation est un peu plus compliquée.
Réglementation stricte en France
En France, bien que la réglementation se soit assouplie depuis 1970, la réglementation concernant le cannabis reste très stricte. En effet, son usage est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3750 €, en cas de trafic, les peines vont jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 7,5 millions d’euros d’amende. Mais cela n’empêche pas la France d’avoir la plus grosse consommation régulière de cannabis d’Europe, selon l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies, bien que ce chiffre soit en diminution depuis quelques années. On compte ainsi près de 5 millions d’usagers par an et 900 000 fumeurs quotidiens.
Pourcentage de la population qui a utilisé du cannabis durant l’année 2019
Source : Rapport européen sur les drogues / Le Monde
Cependant, la question d’un assouplissement des règlementations divise la classe politique. Et si certains députés ou maires se prononcent en faveur de sa légalisation, afin de réduire les trafics et ainsi diminuer l’insécurité de certains quartiers, d’autres s’y opposent fermement comme Gérald Darmanin, dont la lutte contre le trafic de drogue constituait sa priorité, ou Jean Castex qui s’est prononcé sur la question lors d’un direct sur Twitch en compagnie de Samuel Etienne.
Mais il est vrai que la légalisation, ou du moins la dépénalisation, du cannabis pourrait représenter un bénéfice, notamment économique, pour la France. Aujourd’hui, sa répression coute environ 400 millions d’euros par an, et engorge les tribunaux, sans compter que le plus souvent, ce sont de « petites » infractions en cause et non de véritables trafics.
En 2014, le cercle de réflexion Terra Nova a publié une estimation des bénéfices économiques dont pourrait tirer l’État. Il en conclue qu’une dépénalisation pourrait permettre d’économiser la moitié des coûts liés à la répression ; qu’une légalisation permettrait jusqu’à 1,3 milliard d’euros de recette fiscales, notamment par un prix élevé afin de ne pas entraîner une hausse de la consommation ; ou encore une légalisation en cadre concurrentiel où les prix en baisse permettraient d’autant plus de recette fiscale.
Aujourd’hui, plusieurs pays ont déjà franchi le cap, alors qu’en est-il depuis la légalisation ou dépénalisation du cannabis dans ces pays ?
Vers une dépénalisation du cannabis ?
Si le cannabis reste encore illégal dans de nombreux pays, plusieurs ont déjà franchi le cap de sa dépénalisation voire de sa légalisation. Le premier pays à l’avoir dépénalisé est un des plus connus sur la question : les Pays-Bas, en 1976. Côté légalisation, c’est l’Uruguay qui est le premier à autoriser la production, distribution et consommation du cannabis en 2013. Aujourd’hui encore peu nombreux, l’Afrique du Sud ou encore le Canada récemment, rejoignent le banc des pays où il est autorisé.
Pour le moment, les bilans semblent globalement bons.
En Uruguay, la consommation est restée stable et a permis une baisse de la violence dans certains lieux. Une violence qui a, en revanche augmenté entre trafiquants, qui se sont dès lors tournés vers d’autres drogues. D’un point de vue économique, des millions de dollars ont ainsi regagné les caisses de l’État, là où avant, ils finissaient chez les trafiquants.
Qu’en est-il du cannabis thérapeutique et du CBD ?
Au-delà du cannabis récréatif, des usages et dérivés sont aussi questionnés.
En premier lieu, le cannabis à usage thérapeutique. Plusieurs pays l’ont déjà autorisé, avec l’État de Californie (États-Unis) en tête de file, en 1998 ; ainsi que l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Angleterre. Ce cannabis médical est aucun cas accessible à tous, mais prescrit par des médecins et délivré uniquement par des pharmaciens.
En France, comme dit précédemment, thérapeutique ou pas, il reste illégal. Cependant, les députés avaient approuvé des expérimentations thérapeutiques du cannabis sur des personnes atteintes de maladies graves comme l’épilepsie ou la sclérose en plaques. Ces essais ont été reportés à cause de la crise sanitaire du coronavirus et doivent donc débuter en mars 2021, selon l’ANSM. Il serait ainsi indiqué pour des traitements de douleurs chroniques, de maladies neurologiques, de formes d’épilepsie mais aussi pour des soins palliatifs.
Autre usage en cause, celui du CBD ou cannabidiol, dit cannabis « bien-être ». Théoriquement, il ne comporte pas d’effet stupéfiant mais un effet « relaxant ». Si sa règlementation est claire, son application l’est un peu moins. Depuis quelques années, les « CBD shops » fleurissent. Ils commercialisent ainsi des produits à base de CBD comme des produits alimentaires (cookies, chocolats, infusions…) mais aussi des cosmétiques ou encore des huiles…
En France, depuis un arrêté de septembre 2018, ce commerce est autorisé sous trois conditions :
– Les produits utilisés doivent être inscrits sur la liste des stupéfiants établie par l’article 2 de l’arrêté du 22 août 1990
– Ils doivent comporter moins de 0,2% de THC, la substance psychotrope du cannabis, et 0% pour le produit fini
– Seulement des graines et fibres peuvent être utilisées
Pourtant, certains de ces commerces importent parfois des produits de pays étrangers où le cannabis est réglementé différemment, semant ainsi un flou sur les éventuelles répressions en cas de consommation en France.
Enfin, la question de l’impact sur la santé se pose aussi, notamment chez les plus jeunes. En effet, dans l’hexagone, les usagers les plus réguliers sont les garçons adolescents. En cas de légalisation, l’usage pourrait tout logiquement être interdit aux mineurs, voire aux moins de 25 ans en raison de son impact sur le cerveau en formation (perte de mémoire, dépendance…).
De plus, l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé a établi en 2005 les effets fréquents de la consommation de cannabis avec parmi eux, une altération de la perception et de l’attention, des intoxications ou « bad trip », des troubles relationnels ou encore des risques d’aggravation de trouble mentaux. Enfin, le risque de dépendance existe aussi, bien qu’il soit inférieur à celui du tabac ou de l’alcool. Ainsi, dans le cas d’une éventuelle légalisation, la prévention aura toute son importance, tout comme elle l’est pour la consommation d’alcool et de tabac aujourd’hui.
En somme, si sa légalisation ne semble pas encore pour bientôt, une autorisation du cannabis thérapeutique serait déjà une avancée en France, suivant ainsi plusieurs de nos voisins européens.
Célia Ory
Crédits photo : Émile Decorme – DDM