Quiconque tombera sous le charme de Trinity sera l’élu. C’est de ce prédicat que le rappeur toulousain Laylow décide de partir. Décryptons ensemble le cyber-espace dans lequel nous sommes forcés d’entrer et découvrons l’univers d’un artiste indéniablement novateur, à travers son premier album studio : Trinity.
Un album-concept en 2020 ?
Originellement issue de la saga Matrix, Trinity est une hackeuse, personnage majeur de la série de films. Un choix pas si surprenant de la part de Laylow. Son acolyte Wit., présent sur l’album, ayant sorti l’année dernière son projet NĒO faisait référence aussi au protagoniste principal de la saga. Une cinématographie, une imagerie créées autour de cet univers.
Les clips, sortis en amont, des singles Megatron, Poizon et Trinityville créent une ambiance qui permet à l’auditeur d’être directement émergé dans une dimension graphique nouvelle, la nouvelle matrice. Le format physique du CD suit aussi cette imagerie futuriste avec un emballage transparent surmonté simplement du titre de l’album. Chaque clip, chaque support de communication est créé dans cet univers particulier et nous incite à pénétrer dans l’histoire de Trinity…
22 titres pour un album, à première vue, c’est long. À moins que ce soit une stratégie marketing à la Gims pour vendre le plus possible, on se rend compte dans le détail que c’est bien plus fin. Sept interludes se glissent tout au long du disque. Reconnaissables à la typographie différente des titres principaux. Ils ont pour objectif de créer du liant, de structurer et surtout d’aérer la narration voulue par Laylow. Au final, une gestion des temps forts et faibles. Trinity se veut être un « album-concept » dans le sens où une couleur, une thématique et une histoire sont données à l’ensemble musical. Pour l’anecdote, on doit la genèse de l’album-concept à Frank Sinatra et Miles Davis. Plus récemment dans le rap, on peut signaler la sortie de Julius de SCH qui traitait du monde mafieux avec comme invité pour les interludes, la voix française d’Al Pacino. Cette vision de l’album est rare, d’autant plus lorsque que l’on sort, comme ici, son premier album studio.
Une narration multiscalaire
Trinity se présente comme un « logiciel de stimulation émotionnelle ». Ce dernier permet à l’homme de retrouver certaines émotions perdues dans une réalité qui lui échappe. L’utilisation d’une voix féminine comme assistant vocal nous remplit de confusion. Laylow, parle-t-il à un logiciel ? À une femme ? Aux deux ? Bonne question.
La stimulation émotionnelle, c’est donc devenir plus sensible, plus fragile dans certaines conditions. Sortir de six épreuves du bac ou fumer trois joints, le résultat est une stimulation émotionnelle (même si l’effort n’est pas le même pour les deux actions). Nos sentiments sont décuplés. La colère, la tristesse, le bonheur et l’excitation sont ressentis à une échelle bien plus grande. Pour ce qui est de cet album, le logiciel de stimulation semble être une métaphore de la drogue. Les titres DEHORS DANS LA NIGHT, PLUG, POIZON, font référence directement par le titre à la drogue sous couvert d’un vocabulaire commun à la saga Matrix.
Trinity est à la fois l’incarnation des vices liés à la drogue, mais aussi une allégorie des sentiments liés aux amours et amitiés déchus. Des relations dans lesquelles on croit, et qui finalement se trouvent être toxiques. »Tu ne verras que la flamme qui brûle dans mes yeux, j’me détruis un peu chaque jour, c’est merveilleux », un rapport de force inexorable s’établit entre Trinity et Laylow. La machine prend le pas sur l’homme à travers une pensée qui tend à ennoblir le rappeur, jusqu’à le détruire plus tard. »Ce soir, je suis grave triste, j’vais faire des sales choses », le dernier titre commence ainsi. Il n’arrive plus à distinguer le réel du virtuel, passe d’un amour puissant à la froideur chirurgicale du logiciel.
À la manière d’un film, chacun a son interprétation de la situation au cours de l’écoute. Bien que l’auditeur n’ait pas l’hyper savoir, les connaissances que possède un spectateur avant qu’il ait regardé le film, le guidage intervient par la mise en place de repères.
De Chicago à Amiens, une diversité d’influence.
Les repères et clins d’œil sont nombreux tout au long du disque. Les featurings s’intègrent parfaitement et c’est ce qui permet d’ajouter une richesse musicale. Lorsqu’un Alpha Wann débarque sur la prod’ avec une technicité propre à ses qualités de meilleur kickeur français, ce n’est pas que pour en mettre plein les yeux. L’alchimie est importante ; lorsque chaque artiste présent performe, on entend bien que chacun se met au diapason et a compris la logique du disque. Les rappeurs, de part leur notoriété, permettent d’autant plus de créer des repères. Laylow s’appuie aussi sur des influences personnelles pour créer un lien de référence avec son public.
D’emblée, que ce soit l’album physique transparent ou la prod’ de MEGATRON rappelant celle de Black Skinhead, les connaisseurs reconnaîtront directement l’influence de Yeezus. Yeezus est un album du rappeur, auteur, compositeur, producteur, réalisateur et designer américain Kanye West. Considéré comme un album révolutionnaire et visionnaire pour le rap, Laylow avoue avoir été très influencé par Ye. La froideur, l’acidité, le côté industriel des instrumentales de Dioscures, le producteur, renforcent d’autant plus cette impression. Les ambiances de fond telles que les glitchs, changements d’instrus brutaux ou même des bruits orageux viennent enrober le tout.
Au niveau des autres influences notables, parlons du magnifique titre intitulé …DE BÂTARD.
Un storytelling plein de second degré dans lequel Laylow raconte la vie d’un sans-abri avant sa descente aux enfers. Il joue trois rôles en un track. Du sans-abri à leur fille adolescente, en passant par la femme, il joue sur le ton de sa voix pour que l’auditeur distingue chaque personnage. Wit., lui aussi présent, joue l’huissier de justice qui vient annoncer les mauvaises nouvelles pour le couple. Ce type de storytelling, que ce soit dans le format, la production, l’écriture n’est pas sans rappeler le travail de Disiz la Peste. Célèbre de son tube j’pète les plombs, on se rend compte que la recette est la même et que l’auteur de Digitalova semble avoir été bercé par ce type de titre des années 90, étant lui-même né en 1993.
Baptiste Fumeron
Crédits photo : Interlude.
Étudiant en Info-Com, plus Com qu’Info d’ailleurs. Passionné de musique, sport, art et culture en général. Avec la volonté de mettre en page tous ces thèmes. Suivez mes aventures sur Pop-Up et sur mes réseaux sociaux.