Le 7 novembre 2020, au terme de l’une des élections américaines les plus attendues (et redoutées), Joe Biden est désigné comme étant le gagnant. Rapidement, c’est une joie immense qui frappe les grandes villes que l’on connaît tous. À New York, Los Angeles ou Seattle c’est un déluge de klaxons et de gens qui sortent dansant dans les rues en exprimant leur joie. Mais à Boise, à Billings et dans les États du centre, l’annonce du résultat ne laisse place qu’à un silence amer.
Jusqu’en 2016, parler d’Amérique en France c’était parler des grandes villes, des séries hollywoodiennes toutes pleines de progrès et d’ouvertures. Mais passé cette date et après l’immense surprise de la victoire de Donald Trump, c’était un tout nouveau pays qui nous apparaissait, celui que l’on n’osait pas montrer. Et maintenant, après 4 années mouvementées et un bilan plus ou moins mitigé, il nous est bien visible.
L’Amérique de Trump, pour beaucoup aujourd’hui, c’est l’Amérique des fakes news, des complots, du racisme, de l’homophobie et des Blancs. C’est aussi l’image des climato-sceptiques, des pro-armes. Finalement, parler des électeurs ayant coché le nom de Trump sur le bulletin revient à avoir la même image négative : des gens, dont la pensée nous paraît lointaine, arriérée et extrémiste. Mais cela est-il vrai ?
En 2020, plus de 70 millions d’Américains ont choisi Donald Trump. Sont-ils tous les mêmes ? Sont-ils tous racistes et homophobes ? Ont-ils tous la haine du progrès ? Donald Trump est-il aimé par l’ensemble de ses électeurs ?
Cet article n’a pas pour vocation de dénoncer, ni de critiquer le point de vue des uns et des autres. Nous allons simplement chercher à représenter qui sont ses électeurs et quelle est leur volonté. Pourquoi se sont-ils tournés vers l’homme que déteste la plus grande moitié du monde ? À quoi ressemble réellement l’Amérique de Trump ?
Les évangéliques
Ils sont le plus indéfectible soutien du président sortant, et cela pourrait surprendre. En 2020, la communauté évangélique s’est largement mobilisée en faveur de Donald Trump. Près de 80% des millions d’évangéliques américains qui ont voté lui auraient été favorables et pour une raison pas forcément évidente (voire même complètement loufoque) : il serait l’envoyé de Dieu.
Cela est très largement surprenant, quand on connaît Donald Trump (et ses dérapages). Comment un président très grossier, peu religieux, qui souhaite attraper les femmes par le c***** et qui n’est autre que le représentant de la haine et de la division a-t-il pu être considéré par les évangéliques comme celui que l’Amérique attendait ? La raison, est dans les convictions que Trump a voulu représenter. La population évangélique est extrêmement conservatrice aux États-Unis. Et c’était ce que Donald Trump voulait être : un président très à droite et nationaliste. D’ailleurs, il a tout fait pour leur être favorable : restriction du droit à l’IVG et des transsexuels et nomination de juges conservateurs à la Cour suprême. Sa conseillère spirituelle est même la puissante télévangéliste multimillionnaire Paula Wright.
C’est donc pour cela que Donald Trump a été choisi chez les évangéliques. Au-delà des nombreuses critiques qu’on a pu lui faire (et qui bien souvent sont ignorées par ses fans), il a été le favori car il a répondu aux attentes de cet important groupe chrétien. Et ils ne sont pas les seuls à avoir obtenu les réponses qu’ils attendaient…
Les pro-armes
Ça n’est pas une grande surprise, les pro-armes étaient également pro–Trump. Dès la première campagne, Donald Trump a voulu être le représentant de cette « liberté » qu’est le port d’arme, et il l’a montré au cours de son mandat. Très proche de la NRA, la National Rifle Association, le président Trump a su comment mettre de son côté les 5 à 6 millions d’adhérents de l’association. Par exemple, sa volonté d’étendre le port d’armes aux enseignants lui a attiré la sympathie de ce groupe de personnes (il ira même jusqu’à proposer une prime à tout professeur(e) qui en porterait).
Mais plus que sa politique pro-arme, c’est la notion de liberté qui a plu aux adhérents de la NRA. La NRA défend le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis, qui garantit le droit des individus de détenir et d’utiliser des armes à feu. Toujours selon la NRA, ces droits font partie des libertés fondamentales et les exercer est un acte citoyen. Trump (de même que le parti républicain en général) défend sans vergogne la liberté, de port d’armes, mais aussi sous toutes ses formes, au point de tolérer, voire même de soutenir les plus extrémistes : les suprémacistes blancs.
L’Amérique des « blancs »
Ils sont les plus représentés chez les « trumpistes ». De l’identitaire blanc aux suprémacistes, tous sont majoritairement favorables à Trump, lui vouant parfois un véritable culte de la personnalité. Et la raison de ce vote est très simple : les identitaires et les suprémacistes estiment que le pays est menacé sur le plan démographique. Plus les années passent, plus la diversité raciale aux États-Unis augmente (et avec elle la xénophobie et le racisme). Avec Trump, les suprémacistes blancs voient arriver celui qui va les défendre (avec notamment la construction du mur, le décret présidentiel 13769 ou « muslim ban » etc.). Avec cet homme au pouvoir, c’est le retour de « l’Amérique appartient aux blancs » puisque « l’Amérique a été fondée par des blancs ». Et c’est de cette partie des électeurs aujourd’hui (en plus des deux autres groupes) que vient l’image la plus négative de l’électorat de Trump. Et en dehors des suprémacistes, des évangéliques et des pros armes, il y a les autres, ceux qui ne sont pas forcément racistes, ultra-croyants ni armés.
Du vote économique, au vote de révolte des oubliés
Quand on pense aux électeurs de Donald Trump, on ne pense pas assez aux autres. Ces autres, qui sont républicains, et qui n’apprécient pas le président. C’est une réalité, une partie des votants de droite déteste Donald Trump, ses dérapages, sa vulgarité et sa haine débordante. Et s’ils ont voté pour lui, c’est d’une part parce qu’ils sont républicains (et qu’il leur est impensable de voter démocrate), mais aussi pour une autre raison. Une raison forte : ils veulent qu’on les écoute, qu’on arrête de les oublier sur le plan économique et politique. Sous Obama, une importante part des Américains s’est sentie délaissée : lois écologiques entraînant la fermeture des mines, ou encore politique internationale et fiscale donnant la sensation qu’on n’écoute pas assez les problèmes des Américains. Et bien évidemment, Donald Trump a grandement accentué cette sensation afin d’emporter cet électorat en 2016, avec succès. Ces oubliés voyaient en Trump la solution à leurs malheurs, car un président climato-sceptique et centré sur l’Amérique leur viendrait forcément en aide. Il l’a fait, mais au prix d’une augmentation des inégalités (raciales et économiques). Car oui, avant la crise de la COVID-19, le bilan économique était (à première vue) excellent. Sous Donald Trump, le chômage a grandement diminué, de même que les impôts, et c’était une priorité pour un grand nombre de citoyens, y compris les plus riches. Magnats de la finance, du pétrole ou de la grande distribution, ils partageaient la détestation de l’impôt et des réglementations, et Trump leur a semblé être la meilleure solution. Et ce fût le cas car les riches se sont grandement enrichis sous Trump. Pendant ce temps, les plus pauvres retrouvaient peut-être des emplois, mais ils étaient (et le sont toujours) précaires et sous-payés. À aucun moment chez les pro-Trump il n’est fait mention de ces inégalités, puisqu’il semble être LA meilleure solution. Y compris chez certaines minorités…
Les minorités, la surprise
D’après les estimations, 12% des électeurs afro-américains ont accordé leur suffrage à Trump en 2020. C’est une augmentation depuis 2016. Cela pourrait paraître étonnant quand on sait à quel point le président a pu être sévère contre les manifestations anti-racistes du mouvement Black Lives Matter. Cependant, au cours de sa campagne, Trump a montré une attention toute particulière aux afro-américains, avec l’amélioration de leur situation économique, des aides aux universités noires, et son affirmation qu’aucun autre président que lui n’avait autant œuvré pour eux depuis Lincoln. C’est ainsi que Trump a vu sa cote de popularité augmenter auprès de l’électorat afro-américain (surtout masculin), alimenté également par des mouvements tels que le « Black voices for Trump »…
Autre fait étonnant, en Floride, une très large majorité de la communauté cubaine a accordé ses voies à Trump. Mais les Cubains ne sont pas des fans du personnage. Au contraire, beaucoup critiquent son racisme et son traitement des migrants aux frontières. Ils lui ont tout de même accordé leur vote, pour une raison simple : la peur du socialisme. Alimentés par Trump et ses équipes, présentant Biden comme un communiste voulant priver les citoyens américains de leur mode de vie, ils ont choisi la droite à la majorité. Car cette peur du socialisme est bien présente chez des Cubains ayant fui le régime autoritaire de Cuba pour le pays de la liberté…
La liberté, la grandeur, la fierté, ou encore « l’America first », ce sont les images brandies par Donald Trump qui l’on fait gagner en 2016, puis en 2020. Peu importe ce qu’il était aux yeux du monde, Donald Trump a pour beaucoup de ses électeurs incarné une réponse qu’ils ne retrouvaient plus chez les autres. Confortées par des groupes comme Qanon, les théories du complot ont aussi grandement alimenté et galvanisé l’électorat du président. Allant parfois jusqu’à remettre en cause les fondements du système américain et ses lois. Donald Trump et ses électeurs ont su générer une défiance dans tout ce qui ne les représentait pas. Et cela le président ne le dénoncera jamais, au contraire. Celui-ci participera à ses trop nombreuses théories du complot en dénonçant une fraude démocrate aux élections de 2020.
Romain Gruet
Crédits photo : Joe Raedle / Getty Images North America / AFP