Très controversée, l’abolition de la peine de mort reste par essence une avancée sociale considérable. Le 2 janvier dernier, le Kazakhstan a fait un pas de plus vers la modernité : la peine capitale y est désormais prohibée. Retour sur cet évènement, sur la situation des autres pays du monde, et sur les enjeux de ces abolitions.
Une décision tardive mais bienvenue
Le « pays des vagabonds », ou Kazakhstan, subit (ou jouit, tout dépend du point de vue) d’un régime présidentiel autoritaire depuis 1995. En effet, on retrouve dans cette nation d’Europe de l’Est certains vestiges de l’URSS. Tortures, brutalités policières, contrôle de la presse, répressions par le sang : selon Amnesty International, toutes ces pratiques ont perduré même après la dislocation de l’Union Soviétique.
Toutefois, l’année 2019 a été celle du changement pour le Kazakhstan. En effet, le président Noursoultan Nazarbaïev a renoncé à la présidence après presque 30 ans au pouvoir. Comme beaucoup de pays d’Asie Centrale, les arrivées de nouveaux chefs d’État (Kassym-Jomart Tokaïev pour « le pays des nomades ») soufflent un vent de renouveau et d’ouverture sur cette région du monde. Nous retrouvons alors des débats télévisuels, une plus grande liberté d’expression, ou encore une transparence inédite lors de la crise de la COVID-19. Même si le nouveau président kazakh maintient la ligne autoritaire de Nazarbaïev, l’abolition de la peine de mort le 2 janvier dernier reste, malgré tout, une avancée colossale vers une société moderne.
Pourtant, cette décision nécessaire était attendue depuis déjà quelques années. Bien que des tribunaux condamnaient à mort les auteurs de crimes exceptionnels comme le terrorisme, un moratoire visant à suspendre les peines capitales était en place depuis 2003. En signant la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, le président Tokaïev a donc converti cette sentence en peine de prison à perpétuité.
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La peine de mort dans le monde
Malgré sa dépendance stratégique et économique, le Kazakhstan envoie donc un message fort à Moscou en institutionnalisant l’abolition de la peine de mort. La Russie ne la pratique en effet plus, même si elle n’est pas encore abolie dans la loi.
D’après le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères français, plus de deux tiers des pays du monde ont aujourd’hui aboli la peine de mort en droit ou en pratique. Ainsi, 6 États l’ont prohibé pour tous les crimes, 8 l’ont aboli pour les crimes de droit commun, et 50 respectent un moratoire sur les exécutions en droit ou de fait, soit 163 États au total. En revanche, elle est toujours utilisée dans 33 États et territoires. En Europe, seule la Biélorussie applique librement la peine de mort. Tous les autres pays de l’Ex-URSS ont par ailleurs tourné la page de la peine capitale.
De manière générale, il est clair qu’il existe un lien étroit entre abolitionnisme et démocratie moderne. En effet, pour de nombreux pays d’Europe occidentale, la peine de mort ne reste qu’un lointain souvenir. L’ouverture progressive des nations d’Asie centrale passe presque irrémédiablement par la case abolitionniste. Par ailleurs, dans les pays en développement, notamment les BRICSAM, la peine de mort est abolie pour tous les crimes, sauf quelques exceptions. Au contraire nous remarquons que dans de nombreuses régions aux situations politiques instables, notamment la Corne de l’Afrique ou le Moyen-Orient, la peine capitale reste légale et appliquée.
Source : Wikipédia
Nous pouvons ainsi dire que l’abolition de la peine de mort est un moyen pertinent de connaître l’état de santé d’une nation ou d’une région du monde. La carte de l’application de la peine de mort dans le monde est ainsi une photographie temporaire mais juste de la modernité d’un pays.
La seule exception à cette règle semble être le cas des États-Unis. Démocratie bien ancrée, première puissance économique mondiale, place de choix dans les organisations internationales ou régionales : pas de doute, le pays de l’Oncle Sam est une nation ouverte et moderne. Toutefois, cette nation a la particularité d’être composée de 50 États. Nous retrouvons donc d’une part un droit fédéral américain, et d’une autre un droit particulier à chaque État fédéré. Vous l’aurez compris, la peine de mort rentre dans cette deuxième case. Le dernier État à avoir aboli la peine capitale est le Colorado. Il devient ainsi en février 2020 le 22e État américain à prendre cette décision.
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Robert Badinter ou l’abolitionnisme comme conviction
Après avoir fait un léger tour d’horizon sur les rapports qu’entretiennent les régions du monde avec la peine de mort, attardons-nous sur l’Hexagone. Comment aborder l’abolition de la peine capitale en France sans mentionner le nom de Robert Badinter ? Cet homme, né en 1928, est principalement connu pour son combat contre la peine de mort. Ministre de la Justice sous François Mitterrand, il obtient satisfaction le 9 octobre 1981.
Fin essayiste, Robert Badinter écrit en 1973 L’Exécution, un livre retraçant le procès de Claude Buffet et de Roger Bontemps, le point de départ de son combat. Alors avocat de Bontemps, Badinter voit son client condamné à mort alors qu’il n’avait pas tué. Durant 207 pages, l’auteur de L’Exécution questionne le lecteur sur les fondements de la justice et sur le sens même de la notion de bien et de mal. Sa ligne de conduite, tellement évidente qu’on en oublie parfois son importance, est la suivante : « On n’exécute pas celui qui n’a pas tué ».
Ainsi, jusqu’à l’abolition de la peine de mort, il n’a cessé d’endiguer ce phénomène étrange de « la justice qui tue ». Tout d’abord parce que contrairement aux idées reçues, la peine de mort est loin d’être plus dissuasive qu’une peine d’emprisonnement. Ensuite parce que l’attente de la mort pour les condamnés est un châtiment inhumain. Il n’y a qu’à penser à la guillotine, qui comme le décrit Badinter dans L’Exécution, est tout sauf un moyen d’exécution rapide et efficace : « Entre le réveil des condamnés à l’aurore et leur mise à mort, il s’est écoulé presque 45 minutes. À quoi pense un homme qui sait qu’il lui reste 45 minutes à vivre ? La justice des hommes espérait-elle faire naître le repentir en instillant chez le condamné la même peur que celle ressentie par sa victime ? ». Enfin, la peine de mort peut aisément devenir un instrument de pouvoir destiné à terroriser des opposants. Et puis, il faut garder à l’esprit que la justice humaine est faillible, et que comme le disait Voltaire « Il vaut mieux cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison ». Ou mort, donc.
Finalement, Robert Badinter parvient à exécuter la peine de mort le 17 septembre 1981 grâce à un discours bouleversant devant l’Assemblée nationale. Ce plaidoyer, lourd de sens et de conséquences (la peine capitale sera abolie quelques jours plus tard), résonne encore plus fort à la lumière des évènements du 2 janvier dernier. Car « demain les pages sanglantes de la justice [kazakh] seront tournées ».
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Corentin Madères
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