Nombreux sont ces talents errants jamais révélés au grand jour, se lamentant derrière des obstacles illusoires ou réels. Car oui, nous avons tous la fibre journalistique au fond de nous, cette envie de savoir ce qui se passe sur le pas de sa porte ou surtout sous le toit de son voisin.
Journalisme : collecte, sélection et mise en forme de l’information. Vous aussi vous en êtes, alimentant les commérages dominicaux du quartier ou le site web d’un (petit) quotidien, nous sommes d’officieux et d’officiels journalistes.
Oui mais voilà, tout ne va plus si bien : depuis 2013, journaliste est qualifié et placé tout en haut, bien loin devant les autres, du classement des pires métiers du monde du site CareerCast. Alors pourquoi être journaliste c’est pire qu’être bûcheron ? Quel est l’état de la profession ? Comment y accède-t-on, si jamais on peut encore y accéder ? Va-t-on démonter ce classement qui ne repose sur rien de concret mais qui est marrant ? Oui, en partie.
Université, fake news, autodidactisme et pouvoir politique : vous avez le programme, on le déroule ensemble.
Conseiller de désorientation
Vous voyez le score de Jean-François Copé à la primaire de la droite ? C’est à peu près le pourcentage de chance qu’un étudiant a de rentrer en école de journalisme.
Un chiffre : à l’école de journalisme de Bordeaux, ce sont quelques 800 demandes pour 36 places chaque année. Si l’accès difficile est un problème, l’inexistence d’un cursus commun de référence est la faille. Où partir après le bac ? La Fac offre des filières générales, notamment en Information-Communication mais à laquelle il faut ajouter une indéniable expérience personnelle pour aller plus loin. Les IUT donnent un cursus plus condensé et plus spécialisé sans pour autant préparer l’étudiant aux concours. Et puis il y a Sciences Po, qui possède lui-même sa propre école de journalisme. C’est peut-être la voie royale, encore faut-il y entrer, et là ça se complique.
L’entrée en école de journalisme ne se fait qu’après la L3, pas avant. En attendant, les mots d’ordre sont stages de presse, participation à des journaux étudiants et préparation aux concours, sans quoi les 15h de cours hebdomadaires de la fac ne vous feront pas aller plus loin que Jean-Luc Mélenchon quand il fera Danse avec les stars (on a hâte). 13 écoles sont reconnues par la profession, la moitié d’entre elles étant privées, et favorisent l’attribution de la si convoitée Carte de Presse. Un titre créé en 1935, afin d’assurer une reconnaissance aux valeureux membres de la confrérie journalisme.
Journalistes en détresse
Pas facile donc le chemin qui mène vers la gloire journalistique, si tenté qu’elle existe. Nous pourrions au moins penser que cette sélection extrême est un gage d’intégrité du métier. Le problème est que la presse connaît des bouleversements, dus aux nouvelles pratiques numériques. Et c’est l’émergence d’une infobésité, comprenez par là avalanche d’information, ne signifiant pas la fin de la désinformation mais son avènement : 80% des médias parlent de 15% de l’actualité réelle (estimation basée sur des données subjectives). De plus, les quelques fake news (fausses informations) véhiculées régulièrement par quelques médias isolés créent une crise de confiance entre presse et lecteurs. Un métier en pleins renouvellements et perturbations donc.
Et ce classement si lourd de conséquences pour la profession puisqu’il la déglingue, sur quoi se base-t-il ? Sur le revenu d’abord : évidemment le métier est précaire, le journaliste est souvent payé à la pige, à l’article au début de sa carrière. Propre au journalisme ? Non ! Sur les faibles perspectives d’évolution ensuite : un journaliste reste journaliste. C’est vrai que devenir directeur dans un bureau quand tu es sur le terrain c’est le rêve. Sur le stress ambiant aussi, car le journaliste en subit énormément de la part de sa rédaction, avec des articles à rendre à intervalles réguliers. Propre au journalisme ? Toujours pas ! Sur les risques géopolitiques enfin : oui être grand reporter est une profession palpitante mais à fort risques. En attendant, la plupart des journalistes ne vivent pas dans la peur de se prendre une arbre sur la tronche, contrairement aux bûcherons (2e pire métier selon le classement). Donc ce classement, on l’oublie, on ne sait pas qui l’a commandé mais il est en tout cas en froid avec le monde du journalisme.
Donald, c’est toi ?
Le monde a besoin de toi
Et l’essentiel est bien là, plus que jamais des événements vont arriver et il faudra des rapporteurs, médiateurs et passeurs pour que l’information, la vraie, circule. Des sources inépuisables pour un besoin de savoir inépuisable. Mais ces fameux obstacles réels de l’accès si difficile aux formations du journalisme semblent rebuter pas mal de vocations. La clé se trouve peut-être alors dans l’autodidactisme et le participatif. Après tout, même un journaliste professionnel commence en écrivant par lui-même et en soumettant son papier à l’œil d’un rédacteur. C’est donc l’heure pour ces talents jamais révélés et coincés dans le dogme de « Dans une autre vie j’aurais fait du journalisme. » Qu’ils se réveillent ! Depuis les années 2000, des nouveaux médias participatifs ont émergé, enrôlant avec eux des citoyens jamais passés par les écoles, en quête de pur expression journalistique. On reconnaît parmi eux le site AgoraVox, qui publie des milliers de contributions participatives, ou encore le BondyBlog, qui forme des amateurs à la pratique du métier. Rue 89 aussi, un site où les contributions sont filtrées par des professionnels. Trois excellent médias d’information d’ailleurs. C’est bien là ce dont nous avons besoin à l’heure d’une remise en question profonde du métier dans une surmédiatisation d’événements singuliers doublée d’une occultation de faits que le monde dissimule, et pourtant si importants. Les faits reposent sur une nécessité à être racontés, relayés car ils sont la base du débat, de l’activité scientifique et politique. Rien ne se révèle plus concret que de se rendre sur le terrain pour rendre compte de faits véridiques et d’assurer leur diffusion.
Tout est actualité à un moment donné. Tout part d’une actualité.
Journalisme : activité du journaliste visant à assouvir le besoin essentiel du monde à savoir ce qui se passe et comment ça se passe.
Et qui osera dire qu’il s’agisse là du pire métier du monde ?