Depuis quelques semaines la région du Haut-Karabakh, enclavée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, revient faire les grands titres. Les deux parties, en conflit depuis plusieurs dizaines d’années, ne semblent pas réussir à respecter les trêves signées ces dernières semaines. On fait le point sur un conflit mêlant autant d’acteurs que d’intérêts différents.
Déjà au XXème siècle
Le désaccord entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le contrôle du Haut-Karabakh n’est pas récent. Tout commence en 1921 : l’avènement de l’URSS, Staline alors commissaire aux nationalités, rattache le Haut-Karabakh à la République soviétique d’Azerbaïdjan et non à celle de l’Arménie. Mais le problème est que ce territoire de la taille d’un département français, est majoritairement peuplé d’arméniens, qui acceptent donc très mal la décision.
Le Parlement de l’enclave vote l’union avec l’Arménie le 20 février 1988 et 6 jours après, des centaines de milliers d’arméniens se rassemblent dans les rues d’Erevan, capitale arménienne, pour revendiquer le rattachement du Haut-Karabakh à leur pays. C’est ainsi que des affrontements ethniques démarrent dans la région. Mais c’est en 1991, avec la chute de l’Empire soviétique, que le conflit prend une nouvelle ampleur. La population arménienne du Haut-Karabakh se retrouve dans la République d’Azerbaïdjan, nouvellement autonome, mais déclare tout de même son indépendance en tant que République d’Artsakh en septembre 1991. Cette nation n’est à ce jour reconnue par aucun Etat membre de l’ONU, n’arrangeant pas le conflit. La guerre se solde par un cessez-le-feu fragile en 1994 au profit des arméniens.
2020
La ligne de cessez-le-feu établie en 1994 a depuis continuellement été fragilisée par des violations quotidiennes. Mais ce 27 septembre, l’Azerbaïdjan reprend les armes dans l’enclave et le Premier Ministre arménien statue alors que son ennemi a « déclaré la guerre » et instaure la loi martiale (loi autorisant l’emploi de la force armée) en appelant sa population à « être prête à défendre la patrie sacrée ». Depuis les combats n’ont pas cessé et lors d’un forum de discussion télévisée le 23 octobre, le Président de la Russie, Vladimir Poutine a affirmé : « selon nos informations, le nombre de morts des deux côtés atteint environ 2000, ce qui veut dire que le nombre total s’approche des 5000 tués« .
Pourtant plusieurs trêves ont été tentées. Le premier cessez-le-feu est organisé le 10 octobre à Moscou en présence des Ministres des Affaires Etrangères azerbaïdjanais, arménien et russe. Il permet aux deux parties d’échanger des prisonniers et des dépouilles, et ces derniers s’engagent à reprendre les négociations. Mais cela est sans compter sur la reprise des attaques, qui en réalité, avait à peine cessée. Le groupe de Minsk, organisation européenne créée en 1992, présidée par la France, pour une résolution pacifique du conflit, organise une deuxième médiation le 18 octobre qui se solde par une trêve humanitaire acceptée par les deux belligérants. Trêve qui, à l’image de la précédente, ne durera que quelques heures.
Diviser pour mieux régner
Ce conflit ne se limite malheureusement pas aux deux protagonistes, la Turquie a également une part de responsabilité. Le pays ne reconnaît pas le génocide (exercé sur son territoire) des Arméniens, perpétré entre 1915 et 1916, par le gouvernement des « Jeunes Turcs » et la fermeture de sa frontière en 1993 avec l’Arménie. Les relations entre les deux pays sont donc plus qu’inexistantes et exécrables. Par dessus tout cela, la Turquie d’Erdoğan considère l’Azerbaïdjan, majoritairement turcophone, comme son relais d’influence dans cette région du Caucase. Dans cette guerre, la Turquie est mouillée jusqu’au cou ; le pays a engagé plusieurs centaines de mercenaires syriens, attirés par l’appât du gain, pour combattre, à la place de l’armée turque, contre les forces arméniennes dans le Haut-Karabakh (ce que démentent Ankara et Bakou). Un coup calculé par le Président de la Turquie Recep Tayyip Erdoğan selon le vieil adage « diviser pour mieux régner« qui utilise également ces mercenaires en Libye.
Des intérêts pour tout le monde
Quand on parle du Caucase, la Russie influente ne reste jamais loin. L’ancienne URSS et l’Arménie entretiennent des relations très étroites. En effet, l’Arménie qui fait partie de l’OTCE (Organisation du Traité de Sécurité Collective) dont le siège est à Moscou, possède une importante diaspora dans le pays et dépend économiquement de ce dernier. De son côté, la Russie dispose d’une base militaire en Arménie. Cependant, malgré cette relation, la Russie de Poutine veut rester « médiateur » dans ce conflit : elle vend des armes de dernier cri à l’Arménie mais aussi à l’Azerbaïdjan.
L’Iran est également concerné par ce conflit car le pays se sent menacé par l’irrédentisme* d’une importante minorité azerbaïdjanaise turcophone dans les provinces du Nord du pays qui revendique régulièrement son rattachement à l’Azerbaïdjan. C’est pour cette raison géopolitique que l’Iran, majoritairement musulmane chiite, soutient l’Arménie, elle, majoritairement chrétienne. Mais l’Azerbaïdjan n’est pas seul non plus, il est allié avec Israël, un des premiers Etats à avoir reconnu son indépendance en 1991 et qui lui vend des armes et tout un service d’appareillage électronique (dont des drones kamikazes). Pour boucler la boucle, l’Azerbaïdjan considère Israël comme une sorte de base arrière face à l’Iran.
Et la France ?
Le pays n’est pas officiellement impliqué dans le conflit (sauf peut-être par ses ventes d’armes à l’Azerbaïdjan pas très transparentes). Mais certains de ses habitants le sont ; plusieurs membres de la diaspora arménienne résidant en France sont partis gonfler les rangs de leurs compatriotes dans le Haut-Karabakh. Une dépêche de l’AFP datée du 6 octobre raconte le cas de « Hamlet Hovsepian, 31 ans, lutteur sportif arménien venu de Strasbourg ». Il raconte : « Ils n’arrêtent pas de bombarder, avec les drones militaires. On entend le drone qui tourne autour de nous et boum, on entend les bombes. C’est pour ça que tout le monde est dans les caves. Pour l’instant on essaie d’aider les enfants parce qu’il y a beaucoup, beaucoup, d’enfants. Il faut les nourrir. ».
Mais ces volontaires français ne sont pas les seuls à avoir rejoint le Haut-Karabakh. Le 12 octobre, un groupe de 6 chirurgiens et infirmiers bénévoles est parti en renfort, soigner les soldats arméniens blessés dans les combats contre l’Azerbaïdjan. Le docteur en chirurgie cardiaque à Paris, Levon Khachatryan explique son choix au Figaro : « J’ai vu qu’il y avait une pénurie de médecins sur place et étant un médecin français originaire d’Arménie, je me suis dit que je pourrais être efficace et utile là-bas ».
Quant au gouvernement français, Emmanuel Macron s’est exprimé le 2 octobre au Sommet Européen de Bruxelles réclamant « des explications » à la Turquie car il explique : « Selon nos propres renseignements, 300 combattants ont quitté la Syrie pour rejoindre Bakou en passant par Gaziantep (Turquie). Ils sont connus, tracés, identifiés, ils viennent de groupes djihadistes qui opèrent dans la région d’Alep ». Le Président français a également invité « l’ensemble des partenaires de l’Otan à regarder simplement en face ce qu’est un comportement de membre de l’Otan : je ne pense pas que ça en relève » a-t-il statué.
Mais ce n’est pas tout, après s’être entretenu au téléphone avec le Premier Ministre arménien Nikol Pachinian et le Président azerbaïdjanais Ilham Aliev, il a reçu le jeudi 22 octobre le Président arménien Armen Sarkissian dont le gouvernement avait exclu toute solution diplomatique au conflit ce mercredi. L’issue de cette guerre longue et ravageuse ne se trouve donc sûrement pas en France.
*Irrédentisme : Mouvement nationaliste réclamant l’annexion des territoires où vivent des nationaux « non rachetés » (sous domination étrangère). (Source : Google )
Lilia Fernandez
Crédits photos : ARIS MESSINIS – AFP / AFP / Max Sivaslian
Étudiante en double licence info com / llce anglais, passionnée de journalisme, j’aime toucher à tout.