Fukushima : l’anniversaire qu’on aimerait ne pas fêter

10 ans après, le spectre de 2011 pèse encore sur Fukushima. Début février, le corps d’une femme à été retrouvé et identifié proche du site nucléaire ravagé il y a tout juste une décennie par un tsunami. Depuis le drame, les témoignages de ceux qui l’ont vécu de l’intérieur sont nombreux. Retour sur la catastrophe qui paralyse, encore aujourd’hui, cette province au nord-est du Japon.

 

Vendredi 11 mars 2011, 14h46

Ce jour-là, 6400 personnes travaillent sur le site. Une journée presque banale pour ses employés, dont la responsabilité est pourtant immense : assurer le bon fonctionnement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, l’une des plus grandes au monde. La nature en aura décidé autrement… Située sur une zone particulièrement sujette au séismes et faisant face à l’océan Pacifique, la centrale avait pris ses dispositions en construisant des digues. Ce ne fut pas suffisant.

Quand en début d’après-midi, le sol commence à trembler, la peur n’envahit pas immédiatement les couloirs de la centrale. Les Japonais sont habitués à ce genre de phénomène, mieux, ils sont formés et savent comment réagir. L’inquiétude arrive lorsque dans les bureaux, les faux plafonds s’effondrent et les étagères se renversent. Un séisme de magnitude 9 secoue les côtes japonaises. Ceux qui y étaient témoignent : « J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu des voitures rebondir de haut en bas par la seule force du séisme » confie un ingénieur.

 

Crédits : Karyn Nishimura

 

Les réactions ne se font pas attendre. Les spécialistes de l’agence météorologique japonaise préviennent et annoncent un tsunami dans les prochaines minutes, il faut agir et vite. Le système d’arrêt d’urgence est enclenché permettant le refroidissement des 6 réacteurs du site. Mais il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour résoudre le problème. Surtout, lorsque l’on fait face à plus puissant que soi.

 

Vendredi 11 mars, 15h27

30 minutes plus tard, les digues de la centrale paraissent impuissantes face au tsunami qui déferle sur le site nucléaire. Les vagues, qui atteignent jusqu’à 15 mètres de haut, détruisent tout sur leur passage. Le tsunami s’infiltre dans les terres avec une facilité déconcertante et cause des dégâts considérables dans les villages voisins. À la centrale, tout s’agite, il ne faut pas paniquer ni perdre le contrôle.

 

Crédits : AFP

 

Les groupes électrogènes sont noyés, le système de refroidissement du site n°1 ne fonctionne plus. Il faut trouver d’urgence une solution pour refroidir les réacteurs et éviter le scénario catastrophe. Les ingénieurs préconisent alors d’utiliser les réserves d’eau douce de la centrale et se concentrent sur le réacteur n°2. Ils l’ignorent, mais l’état du réacteur n°1 est critique, plus encore que le n°2.

Dans la nuit, alors que le travail continue, un employé lance l’alerte : ils font fausse route. Son dosimètre l’empêche de pénétrer dans l’enceinte du réacteur n°1 lui indiquant des radiations très élevées, trop élevées. La fusion du cœur a commencé et des gaz radioactifs émanent du réacteur. Désormais, l’attention se porte sur le réacteur n°1, les ouvriers s’efforcent de le refroidir, toujours avec l’eau douce stockée sur place. La confiance regagne la centrale mais il ne faut jamais crier victoire trop vite. Les réserves d’eau douce ne sont pas sans fond, la pénurie arrive bientôt.

 

Samedi 12 mars 2011

À J+1, on décompte déjà des milliers de morts. L’opinion fait pression et les critiques concernant la gestion de la crise sont virulentes. Concentration, efficacité et ingéniosité sont de mise. Ne pas se laisser déstabiliser, il y a plus important à gérer. Une nouvelle opération est programmée, écartant le risque d’implosion du réacteur n°1 : l’éventage. Le système électrique ne fonctionnant plus, c’est aux employés eux-mêmes de s’en charger. « Ils avaient ignoré les dosimètres (…) à ce moment-là, car s’ils avaient vu le chiffre de la dose, ils auraient été immobilisés. Ils avaient l’intention d’ouvrir la vanne au péril de leur vie » raconte le chef de la salle de contrôle.

Un pari qui s’avère payant mais maintenant que le réacteur a ouvert son cœur, la réserve d’eau douce, elle, crie famine. Les stocks sont à sec. Il implose. Le stress monte. Ses congénères peuvent en faire de même.

Une décision est prise. Le temps d’un instant, l’ennemi d’hier est désormais déguisé en allié aujourd’hui. Les conséquences sont inconnues mais le choix est fait : pomper de l’eau de mer et s’en servir pour refroidir les autres réacteurs, notamment le n°3 dont le cas s’aggrave.

Après plus de 24 heures de travail acharné, la fatigue se fait ressentir et les employés sont épuisés. « Combien de temps pouvons nous continuer à travailler sans jamais dormir ? La réponse est 36 heures. C’est la limite pour tous les hommes » explique Takeyuki Inagaki, chef de groupe à la centrale. Une durée atteinte, mais impossible de ralentir la cadence. Tout est fait pour éviter l’implosion. Du coucher jusqu’à l’aube, de l’aube jusqu’au coucher.

 

Lundi 14 mars 2011

Sur les enregistrements on entend le directeur de la centrale s’égosiller : « QG ! QG! C’est terrible ! On a un problème sur le site numéro 3 ». Une nouvelle explosion retentit à la centrale détruisant au passage le système de refroidissement du réacteur n°2.

 

Crédits : Getty Images

 

Plus tard le directeur avouera : « Je crois que c’est le moment où j’ai touché le fond. Je nous voyais tous morts ». La situation s’aggrave, les réactions en chaîne ce n’est jamais bon. Les salariés dit « non-essentiels » sont évacués de la centrale et le Premier ministre s’adresse au personnel restant dans une déclaration qui fait froid dans le dos, les laissant au pied du mur « Je vous demande de sacrifier vos vies ».

 

15 mars 2011 

Le lendemain, la course contre la montre est toujours d’actualité, et malgré un travail intense des employés, le réacteur n°2, sous pression, implose. Par chance, il n’endommage pas le réacteur n°4.

Après 4 jours de dur labeur, le personnel est exténué. Ensemble, ils ont réussi à contenir une catastrophe nucléaire qui aurait pu être bien pire. « Il y a un lien spécial entre nous. Je ne peux pas l’exprimer avec des mots. J’imagine que c’est la camaraderie qu’il peut y avoir entre soldats en temps de guerre. Dans notre cas, l’ennemi, c’était la centrale. Et nous l’avons combattue ensemble » explique un ingénieur du site. En 4 jours, le Japon aura fait face à un séisme, un tsunami et un accident nucléaire causant près 16 000 morts et 2500 disparus.

 

Lente reconstruction 

Aujourd’hui tout comme avant l’accident, ils sont des milliers à travailler quotidiennement sur le chantier. Ils déblayent, bétonnent, construisent, évacuent, démontent, le tout dans une apparente sérénité armés de leur combinaison contre les radiations qu’ils ne quittent jamais. La centrale grouille sous l’activité incessante des employés et les villages voisins, eux, sont fantômes depuis dix ans.

 

Crédits : Karyn Nishimura

 

Les transformations au fil des jours ne sont que minimes mais l’espoir de tourner la page sur la catastrophe est grand. La reconstruction sera lente. Tepco, la compagnie exploitante de la centrale, estime la décontamination du site effective d’ici trente à quarante ans. Le plus compliqué ? L’évacuation des déchets radioactifs. L’eau et les déchets solides contaminés sont pour le moment stockés dans l’enceinte de la centrale. Pour la première, il est prévu de la rejeter en mer lorsqu’elle sera dépourvue de toute substance radioactive. Une solution qui ne fait pas l’unanimité auprès des pêcheurs locaux qui craignent que la réputation de leurs produits soit à jamais entachée. Pour les déchets solides, aucune solution n’a été évoquée pour le moment : incinération, enfouissement ? L’inconnu plane encore. Toujours est-il qu’il y a dix ans, la nature a repris ses droits. Une décennie plus tard, l’Homme n’est pas encore parvenu à soigner ses plaies.

Noa Darcel

 

Crédits photo : Karyn Nishimura

Share

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *