Grand retour pour le rappeur franco-dakarois qui revient avec son nouvel album intitulé ADC (acronyme d’Attaque Des Clones), dévoilé ce 11 septembre 2023. Lui qui, ces dernières années, avait reçu autant d’éloges que d’accusations, semble vouloir répondre à cela à travers son nouveau projet.
Dans ce nouvel album, l’artiste fait face aux critiques et accusations à son égard. Pendant l’écoute, nous pouvons entendre différentes interviews et débats datant de 2021, dénonçant en grande majorité les paroles de l’artiste, qualifiées de racistes et d’antisémites.
Et si certains pensaient qu’il ferait profil bas après autant de critiques, c’est bien mal le connaître. En effet, il n’a pas hésité à revenir critiquer de nombreux problèmes structurels ainsi que des personnalités publiques en utilisant des punchs lines plus provocantes les unes que les autres.
Freeze? Corleone?
Issa Lorenzo Diakhaté de son vrai nom a commencé à émerger sur la scène du rap français lors de son EP nommé Projet Blue Beam en 2018.
Trois ans plus tard, il sort le 11 septembre 2021, son premier album LMF (acronyme de La Menace Fantôme). Cette même année, il connaîtra une ascension fulgurante, tant grâce à son talent que par les critiques charnues qu’il reçut. Nous voilà enfin en 2023, l’album ADC sort et Freeze Corleone ne semble pas avoir voulu sympathiser avec ses accusateurs.
Comme vous l’aurez sûrement remarqué, les dates de sorties de ses projets musicaux ne sont pas anodines: 11 septembre (3 fois) et 13 novembre. Ces dates correspondent à deux attentats terroristes, celui de 2001 et celui de 2015. Ceci nous donne un avant-goût de l’univers particulier que propose l’artiste.
Un univers lugubre
Premièrement, il est créé à partir d’instrumentales “sombres”, se démarquant par leurs accords souvent graves (dit mineurs), aux couleurs sinistres, ainsi qu’avec la présence de basses et d’infra-basses, pour la plupart imposantes: peut en témoigner la musique Freeze Raël.
Deuxièmement, son écriture est démarquée et sort de certains cadres du rap. Chez lui, chaque phrase est souvent indépendante de la prochaine. De plus, la construction de ses phrases est reconnaissable. On peut constater une forte présence de comparaison entre sa personne et autre chose afin de se valoriser, à l’aide de l’outil de comparaison “comme”, exemple: “Déterminé comme Leicester, killu’ à vie comme Majster”.
Troisième élément de sa recette: des champs lexicaux redondants et facilement identifiables. Parmi eux, nous retrouvons celui des drogues, du complotisme et de la guerre. L’artiste nous le dit lui-même: “Dans ma tête: argent, sexe, drogue, complot, c’est obsessionnel”, du morceau LRH.
Il reste encore à ajouter les derniers ingrédients. L’egotrip, élément omniprésent dans le rap, vise à gonfler l’ego de l’auteur. Ce dernier est caractéristique du rap de F.Corleone (bien qu’il ne soit ni le premier ni le seul à l’avoir fait!). Cet élément pose parfois problème chez lui de par ses comparaisons à des personnalités extrémistes (pour peu dire).
Une fois que tout ceci est dans la marmite, il construit ses rimes à partir des références très pointues, issues des champs lexicaux précédemment cités. Ingrédient final, une critique ciblée sans filtre.
Une critique à double sens
Comme expliqué précédemment, le rappeur n’hésite pas à dénoncer ce qu’il juge problématique. Cependant, à bout de tant de provocations, l’artiste fut à son tour accusé. Il lui fut reproché de tenir des propos illégaux, faisant notamment l’apologie du nazisme.
En 2021, différents organismes décidèrent ainsi de (vouloir) censurer son influence et sa musique.
La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), l’accusa de faire l’apologie du nazisme et de tenir des propos antisémites. Son patron, Mario Pstasi, manifestait sur CNews son désir de blocage par les plateformes de streaming, du téléchargement de ses musiques.
Ainsi, les plateformes de streaming décidèrent de censurer certains morceaux, par exemple: baton rouge et sacrifice de masse pt.3. Parallèlement, le distributeur Universal Music France rompit son contrat de distribution avec le rappeur. Ce type de démarches toucha divers domaines, la FNAC arrêta la vente de son album et la radio Skyrock arrêta de passer l’artiste.
Par ailleurs, certaines personnalités politiques s’exprimèrent, notamment Gérald Darmanin. Ce dernier, demanda au ministère de l’Intérieur “d’étudier au plus vite les recours juridiques pour poursuivre leur auteur”. De plus, une cinquantaine de députés LREM avaient signé une lettre ouverte afin que le rappeur soit sanctionné.
Toutes ces accusations n’eurent guère de conséquences sur l’artiste puisque l’enquête ouverte par le parquet de Paris, pour provocation à la haine raciale et injure à caractère raciste, fut classée sans suite.
Plus récemment, la ville de Rennes avait pris un arrêté afin de suspendre le passage de F.Corleone lors d’un festival. Malheureusement pour eux, l’artiste déposa une plainte et le tribunal administratif donna raison à ce dernier. L’arrêté fut finalement suspendu.
Quels sont ces propos si problématiques?
Lors de son attaque aux propos du rappeur, la LICRA avait créé une liste des phrases qui faisaient, selon elle, l’apologie du nazisme ainsi que des propos qualifiés d’antisémites.
Parmi elles, “J’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30”; “Monte un empire comme le jeune Adolf”; “Tous les jours R.A.F (Rien À Foutre) de la Shoah”; “Monte un empire comme le jeune Adolf”; “J’suis à Dakar, t’es dans ton centre à Sion, s/o l’Amérique, s/o l’esclavage, R.A.F (Rien À Foutre) des *BIP*”; “On arrive dans des Allemandes comme des SS” …
Comment défendre l’indéfendable?
Il est vrai, sans connaître l’univers musical de l’artiste, et sans connaître sa manière de procéder afin de mettre en lumière certaines inégalités, ces propos deviennent rapidement illégaux.
Cependant, tout n’est pas aussi simple.
F.Corleone joue sur le terrain de la provocation. De plus, il joue énormément sur l’egotrip, il met souvent en valeur sa propre personne sur diverses caractéristiques: son talent, sa richesse, son influence, son intelligence, etc…
Le fait de comparer sa détermination à celle d’Adolf Hitler vise à montrer que lui aussi est très déterminé à atteindre le sommet de l’échelle sociale, non pas qu’il souhaite commettre les mêmes crimes perpétrés par ce dernier.
Par ailleurs, les phrases impactantes telles que “tous les jours R.A.F de la Shoah”, viseraient à dénoncer le fait que certains génocides ne soit pas étudiés à l’école, comme par exemple: le génocide du congo. Il dénonce une différence d’apprentissage et de sensibilisation quant aux autres événements tragiques de l’histoire. La question est ici est celle de la responsabilité de la France dans l’Histoire: celle passée, mais également celle qui s’écrit de nos jours (devoir de mémoire).
Evidemment, ces phrases sont borderlines, lui-même le dit dans Tse Chi Lop “dans mes notes tant de lines borders”. Ces dernières sont tout à fait questionnables si nous connaissons dans quel environnement elles sont produites. Il est donc nécessaire de remettre les phrases dans leur contexte, afin de comprendre toutes les nuances des propos ciblés et de pouvoir être à même de les juger objectivement.
Nouvel album, nouveau départ
Après avoir été la cible de la scène médiatique et politique, nous pourrions penser qu’il aurait changé sa fameuse recette. Que nenni.
En effet, ADC vise à répondre d’une certaine manière à toutes ces critiques. Au sein de cet album, ou il y incruste des passages (sur TPMP par exemple) de débats concernant ses positions, il semble dénoncer des injustices de manière bien plus directe.
Dans ADC, il n’a pas hésité à s’attaquer à un de ses accusateurs, le ministre de l’Intérieur: “je préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Gérald Darmanin”.
La maire de Rennes (Nathalie Appéré) a elle aussi été ciblée à travers la phrase suivante: « S/o le Conseil d’État, merci à Nathalie », touche ironique du rappeur.
Il s’attaque aussi au PDG de Skyrock, Pierre Bellanger, “fuck […] Pierre Bellanger”, et au directeur général de la radio “fuck Laurent Bouneau”. Une fois de plus, face aux critiques, sa réponse est la provocation.
Enfin, hormis toutes ces réponses, il continue de dénoncer des injustices. Il traite notamment du sujet de la protection des potentiels pédocriminels, comme ce fut le cas pour Polanski, “Faut brûler tous les pédocriminels comme Polansky”.
D’autres personnalités sont la cible des critiques à cause de leurs positions politiques ou à cause de leurs fréquentations douteuses: Joe Biden, Bruno Attal, Damien Rieu, Jean Messiha, etc… L’artiste rappe également “PDM (peine de mort) pour Pierre Palmade” ou encore “PDM pour Thierry Ardison, PDM pour PPDA (Patrick Poivre d’Arvor)”. Sa position face à deux hommes ayant été accusés d’agression sexuelle est claire. Cela pose néanmoins la question du fond et de la forme: la provocation est-elle le moyen le plus pertinent pour défendre une cause?
Finalement, l’album de Freeze Corleone a bien rempli son cahier des charges: répondre aux critiques par la critique, en faisant de la provocation son arme première. Cette fois-ci, l’album n’a pas fait la Une des médias traditionnels comme ça a pu être le cas lors des polémiques. Seulement quelques articles ou tweets ont vu le jour, notamment de la LICRA, qui questionnait certaines paroles du single Shavkat.
Crédits photo : Pxfuel
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Afin d’illustrer ces propos, vous trouverez ci-dessous mes articles. Bonne lecture!