Démission du président des JO : sexisme au Japon, un problème sociétal ?

Suite à des propos sexistes, le président du comité d’organisation des Jeux olympiques de Tokyo, Yoshiro Moria démissionné le 12 février dernier. Contestation internationale et indignation de milliers de japonaises, la situation n’est pourtant pas inhabituelle au pays du soleil levant. Retour sur la place de la femme au Japon, où tradition rime parfois avec sexisme. 

 

Retour sur les évènements  

Tout commence le 3 février dernier, lorsque Yoshiro Mori, âgé de 83 ans, déclare que « les conseils d’administration avec beaucoup de femmes prennent beaucoup de temps ». Il a par la suite développé que si l’on augmentait le nombre de membres exécutifs féminins et que leur temps de parole n’était pas limité dans une certaine mesure, elles auraient du mal à finir : « Ce qui est embêtant » ! Il a ajouté : « Les femmes ont l’esprit de compétition. Si l’une lève la main (pour intervenir), les autres croient qu’elles doivent s’exprimer aussi. C’est pour ça que tout le monde finit par parler ». Mais attention, que l’on se rassure, Yoshiro Mori a bien précisé que ce n’était pas partout pareil«  Nous avons sept femmes au sein du comité d’organisation, mais elles savent rester à leur place » a-t-il déclaré. Ouf… Nous voilà rassurés. Selon la presse nippone, ces remarques misogynes auraient fait rire plusieurs membres de l’assistance.  

Ces propos ont bien entendu été désapprouvés, particulièrement à l’international. Mais le Japon aussi s’est montré mécontent de ces déclarations, entraînant quelques manifestations dans sa capitale. La joueuse de tennis nippo-haïtienne Naomi Osaka s’est d’ailleurs exprimée à ce sujet : « J’aimerais bien savoir quel est le raisonnement derrière ces propos. Et je voudrais savoir ce qu’en pensent les gens qui l’entourent ». Malgré des excuses le lendemain de ses déclarations, Yoshiro Mori démissionne finalement de la présidence du comité d’organisation des Jeux olympiques de 2020 le 12 février: « Mes déclarations inappropriées ont causé beaucoup de trouble (…). Je souhaite démissionner de la présidence dès aujourd’hui ». Pour beaucoup, cette démission serait davantage liée au poids international qu’au poids du féminisme japonais. Depuis jeudi 18 février, Seiko Hashimoto, l’actuelle ministre des Jeux olympiques et Paralympiques, est la nouvelle présidente du Comité d’organisation des JO 2021.

 

Shinzo Abe durant une session du comité du budget. Présence d’hommes uniquement. 

 Crédits photo : KAZUHIRO NOGI / AFP

 

Un problème qui n’est pas isolé en politique japonaise  

Cet évènement, qui a fait du bruit au-delà des frontières du pays du soleil levant, n’est pourtant pas nouveau. En effet, les propos sexistes fusent au sein de la politique japonaise, comme en témoigne le vice-président ministre et ministre des Finances, Tarō Asō. Ce dernier a déclaré en 2019 que c’était «à cause des japonaises que la natalité chutait dans l’archipel». En 2014, alors que Shiomura Ayaka, membre du conseil municipal de Tokyo, posait des questions sur le système de soutien aux femmes enceintes et à la maternité, elle se serait faite huer par des hommes membres du conseil. Ils lui auraient crié qu’elle ferait mieux de se marier rapidement à la place. Semble-t-il que le conseil municipal de Tokyo se serait contenté de les réprimander légèrement.  

Mais alors pourquoi toutes ces remarques désobligeantes ? Pour commencer, il faut savoir que la politique japonaise est très majoritairement masculine. En 2018, seulement 13% de femmes siégeaient au Parlement, bien loin d’une parité hommes-femmes donc. De la même façon, le 16 septembre 2020, Yoshihide Suga formait un nouveau cabinet. Sur 21 ministres, on ne retrouve que deux femmes, Yoko Kamikawa à la Justice et Seiko Hashimoto chargée des Jeux olympiques. Cela s’explique par l’image que renvoie la politique : dans l’imaginaire collectif nippon, la politique est un métier masculin. Certaines femmes parviennent cependant à faire carrière, comme Yuriko Koike, d’abord première femme ministre de l’Environnement de 2003 à 2007, aujourd’hui gouverneure de Tokyo (maire) depuis 2016. Elle est la première femme à obtenir ce poste et elle a d’ailleurs été réélue en 2020.

 

 

Yuriko Koike  (Crédits photo : AFP/Archives/Philip FONG)

 

La position de la femme au Japon  

Cette vision de la femme est en partie ancrée dans un mode de vie bien particulier. Contrairement à toute la modernité qu’évoque le Japon, celui-ci est resté très traditionnel dans le travail et la conception de la vie familiale. Aussi cliché que cela puisse paraître, c’est l’homme qui travaille et la femme qui reste à la maison, pour élever les enfants et s’occuper du foyer.  D’après le Forum économique mondial en 2020, 70% des femmes cessent de travailler lorsqu’elles deviennent mères. En moyenne, dans les entreprises, on trouve donc 90% d’hommes. Les femmes, quant à elles, ont souvent un baito. Il s’agit du nom japonais pour un petit travail à mi-temps, comme travailler dans la restauration ou un konbini. Ces jobs sont très communs au Japon et demandent peu de compétences. Niveau égalité hommes-femmeson repassera… Toujours selon le Forum économique mondial, l’archipel nippon se classe 121e sur 153 pays en termes d’égalité hommes-femmes, soit derrière le Bangladesh ou les Émirats arabes unis. 

La société japonaise reste conservatrice. Il y a quelques années encore, un scandale éclatait dans certaines universités de médecine qui avaient mis en place un système de notation afin de limiter l’accès aux femmes dans ces parcours. Selon les initiateurs de ce projet, les femmes sont un problème dans les hôpitaux, notamment parce qu’elles tombent enceintesL’image de la femme semble donc indissociable de celle de la famille et des enfants. Comme si toutes les femmes voulaient ou se devaient d’être mères. En revanche, dès qu’il est question du foyer familial, la femme devient très importante mais surtout dominante. « Elles portent la culotte » pour reprendre l’expression française. Ce sont elles qui prennent les décisions majeures concernant l’éducation, la maison, etc. Si l’avis du mari compte aussi, c’est souvent la femme qui l’emporte. C’est notamment elle qui distribue un peu d’argent de poche à son mari pour qu’il puisse aller boire un verre après le travail pour se détendre par exemple. Donc, si on résume, c’est l’homme qui ramène l’argent, mais c’est la femme qui gère les dépenses. Les hommes, quant à eux, n’ont pas le droit aux congés paternité. Leur place auprès des enfants est donc moindre par rapport à la femme.

 

Source : nippon.com

 

Une évolution sociétale en cours ?   

Malgré tout, la société japonaise tend à évoluer petit à petit. Ne serait-ce que par l’incident des propos sexistes de Yoshiro Mori, qui a montré une grande indignation de la part de la jeune population japonaise. Des manifestations mais surtout un tollé sur les réseaux sociaux japonais ont montré que la parole à ce sujet se libérait ou du moins, que la situation choquait. Un autre changement, qui prouve l’évolution de la société japonaise et de la position de la femme en son sein, est la dénonciation du harcèlement et plus précisément le harcèlement sexuel. Selon Chizuko Ueno, sociologue engagée dans les mouvements féministes, le Japon connaît une croissance du nombre de procès pour harcèlement sexuel (un concept introduit pour la première fois au Japon il y a une trentaine d’années). La chercheuse y voit « un signe d’une plus grande intolérance des femmes face au harcèlement » et surtout « un changement réel dans la société ».  

Bien sûr, il y a bien des changements à faire, compte tenu de l’inégalité des chances des femmes pour trouver un travail plus prestigieux. Mais dans les faits, à poste égal (cadre par exemple) dans une entreprise au Japon, hommes et femmes perçoivent le même salaire. Preuve en est que l’inégalité résulte essentiellement de la place de la femme dans la hiérarchie. Car l’écart salarial femmes-hommes* en 2019 au Japon était de 23,5%, soit le deuxième pays membre de l’OCDE le plus mauvais derrière la Corée. La réalité actuelle est donc que la femme peut faire carrière et être égale à l’homme japonais à condition de ne pas avoir de famille. Pour changer cela, l’ancien Premier ministre Shinzo Abe a lancé en 2014 une politique dite des « Womenomics », destinée à corriger les déséquilibres dans le monde du travail. La part des Japonaises membre de conseils d’administration a notamment augmenté, passant de 2,1 % en 2014 à 4,1 % en 2018. De plus, lmaire de Tokyo est en train de faire bouger les choses, en imposant notamment une augmentation des crèchesÀ Tokyo, faute de placeen crèche, les mères abandonnent souvent leur vie professionnelle pour élever leurs enfants. Par ailleurs, elle promeut le télétravail pour que les hommes puissent rester plus à la maison et mieux participer à la vie de la famille. En effet, à cause du rythme effréné de travail, le ou la japonaise doit souvent choisir entre travail et famille.  

 

Enfin, si jamais le sujet vous intéresse et que vous voulez en savoir plus sur l’entreprise au Japon et la place de la femme dans le monde du travail, découvrez la série animée japonaise Aggretsuko (disponible sur Netflix). C’est l’histoire d’une jeune femme (panda roux) employée dans une entreprise japonaise qui se défoule de ses horribles journées en chantant du métal le soir. Derrière cette histoire déjantée se trouvent de vrais problèmes de société, malheureusement beaucoup trop d’actualité

 

Source : Chaîne YouTube de CinéSéries – Trailer FR

 

Noémie Renard

 

*L’écart salarial entre les femmes et les hommes est défini comme la différence entre le salaire médian des hommes et des femmes rapportée au salaire médian des hommes. Les données se rapportent d’une part aux salariés à plein temps et de l’autre aux non-salariés. 

 

Crédits photo : photographie de Yoshiro Mori  (AFP/Toshifumi KITAMURA)

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Noémie Renard

En L3 Information et Communication. Objectif final : journaliste en presse ou radio. J'espère vous donner des envies d'ailleurs. Mon péché mignon ? Tout ce qui touche à la culture et aux voyages.