Le 10 novembre 2019 restera dans l’histoire en Bolivie, c’est le jour où l’extrême droite concrétise le coup d’État. Des élections frauduleuses ? Un président qui reste 14 ans au pouvoir devrait-il accomplir encore un mandat ? Pour comprendre le comment et le pourquoi de la situation actuelle et celle à venir, voici un récap’ de faits historiques marquants.
La colonisation, marquée par l’extraction minière
Depuis la colonisation, l’objectif de l’invasion européenne était d’établir une zone d’exploitation des ressources naturelles et d’exterminer la population locale. Étant riche en argent, ce pays a financé la révolution industrielle en Europe. Seulement dans la mine de Potosí, les esclaves ont extrait plus de la moitié de l’argent existant dans le monde au XVI et XVIIème siècle. L’héritage de la politique extractiviste est devenu un des principaux paradoxes du pays.
De 1900 à 2000
La Bolivie est passée par des moments très complexes au cours du siècle dernier qui a une grande importance jusqu’aujourd’hui. Le pays a vécu une réforme agricole et une grande transformation politique dans les années 50. Rappelons que la Bolivie a été le pays que Che Guevara a choisi pour initier la lutte révolutionnaire à la fin des années 60, étant ensuite découvert par la CIA, poursuivi, capturé et brutalement assassiné à la Hiraga. Le pays a aussi vécu une dictature militaire de 1971 à 1985. Comme la plupart des pays du continent sud-américain, le néolibéralisme a intensifié la pauvreté en transformant la nature et le peuple inca en marchandises.
Les années 2000, la Guerre de l’eau
Au début de ce millénaire, le pays vivait une profonde instabilité politique. La Bolivie a offert à d’autres pays, suffisamment de richesses pour financer leurs conditions de vie alors que son peuple vivait dans une misère profonde. Avec la précarisation et les inégalités extrêmes, les paysans et ouvriers ont commencé à se mobiliser. La première (et plus populaire), fut la Guerre de l’eau.
Bechtel, une entreprise des Etats-Unis d’Amériques, gérait la compagnie des eaux dans la région de Cochabamba nommée Águas del Tunari. Bechtel a renvoyé plusieurs ouvriers, ne se préoccupant point de son environnement naturel ni de la sécurité. La compagnie des eaux augmentent les tarifs, rendant alors de de plus en plus difficile l’accès à l’eau pour les plus pauvres. C’est la goutte d’eau pour que les peuples se mobilisent, résistent à la répression, battent le gouvernement et expulse Bechtel de leur pays en exigeant des droits de la nature et l’étatisation des entreprises. Cette victoire est très importante pour le pays, au-delà d’une simple victoire populaire donnant un grand espoir à la lutte bolivienne.
2003, la Guerre du gaz
Dans un pays ravagé par la faim et la pauvreté les peuples indigènes se révoltent encore une fois avec la nouvelle politique d’exportation quasi gratuite du gaz. Ils remplissent les rues d’El Alto dans la Région de la Paz où ils revendiquent une nouvelle constitution avec plus de droits sociaux, une réductions des inégalités sociales et la reconnaissance des peuples autochtones. La répression du gouvernement aux barricades indigènes fut brutale laissant 64 morts. En revanche, les peuples intensifient leurs défenses et amplifient les mobilisations pour battre les militaires. Les manifestations remplissent le pays du nord au sud et forcent le président Sanchez Lozada à entrer dans un avion pour sortir du pays en renonçant à sa position et en laissant sa place à Carlos Mesa. La forte mobilisation des cocaleros, ouvriers et paysans, exige de profondes transformations sociales. Le parti MAS (Movimiento al Socialismo) qui était déjà le deuxième plus populaire lors des élections précédentes, s’empare et canalise les revendications des rues.
2005, Evo Morales le premier président Aymara
Avec le désastre économique, environnemental et politique dans lequel la Bolivie se trouvait, Evo Morales est devenu le principal opposant du pays. Il débute sa carrière politique, étant leader syndical des cocaleros, et défend le socialisme, la réforme agraire et les transformations radicales pour la Bolivie. En 2005, Morales et le MAS gagnent les élections avec plus de 50% des votes. C’est la première fois qu’un président élu appartient au peuple Aymara. Ce n’est pas seulement une représentativité symbolique mais le fruit des mobilisations de masse et d’un programme basé sur des mesures drastiques pour son pays.
À savoir: la Bolivie n’était pas la seule à choisir un président avec l’ambition de transformer. La vague progressiste qui a eu lieu dans le continent américain impliquait le Venezuela, Nicaragua, Équateur et plus subtilement le Brésil, le Chili, Argentine, Paraguay et Honduras.
Chiffres clés de son mandat :
→ Réduction de la pauvreté extrême de 28,3% à 15,2% en 2018 (plus petit indice de l’histoire)
→ Taux de mortalité infantile diminué de moitié
→ Reconnaissance des peuples autochtones
→ Multiplication par 4 du PIB
→ État laïque et plurinational
Avec le gouvernement MAS, l’élite agricole concentrée à Santa Cruz de la Sierra, a organisé plusieurs fois la destitution du président lors de ses premiers mandats. Les tentatives de l’extrême droite afin d’interrompre la vague de gauche ne sont pas une nouveauté. Certaines tentatives ont eu du succès comme en Haïti (2004), Paraguay (2012) et d’autres ont échouées comme au Venezuela (2002 et 2015), et en Bolivie (2008).
Une méfiance croissante et la montée de l’extrême droite
Même avec une forte opposition, lors de ses premiers mandats, Evo Morales pouvait compter sur le grand soutien des peuples indigènes, grâce à la concrétisation des avancées sociales.
Cependant, ces dernières années, son soutien populaire s’est affaibli. Comme tous les autres gouvernements du cycle progressiste en Amérique latine, il n’a pas réussi à rompre le modèle extractiviste destructeur de la nature hérité de la colonisation. Paradoxalement, un gouvernement qui se prétendait défenseur des peuples et des territoires indigènes, se retrouve à construire des autoroutes et à implanter l’agro-industrie dans des territoires protégés. Avec ça, les nombreux peuples autochtones deviennent de plus en plus méfiants.
En parallèle, la croissante offensive de l’extrême droite dans le monde n’épargne pas la Bolivie. L’opposition bolivarienne retrouve son souffle avec la dénonciation du président dans un schéma de corruption.
À ce stade, il réalise un référendum afin de pouvoir se battre pour son 4ème mandat présidentiel mais 51,3% de la population dit « non à Evo Morales » pour ces prochaines élections. Il fait donc appel à la plus haute instance de justice du pays alléguant « fraude électorale par véhiculation de fausses informations » à son égard, notamment celle de corruption. La Cour Suprême évalue alors sa demande positivement ce qui lui permet de participer, pour la quatrième fois consécutive aux élections.
2019, les élections
C’est dans le contexte décrit précédemment que l’élection 2019 s’est déroulée. Les principaux candidats étaient Evo Morales et Carlos Mesa, (vice-président puis président lors de la Guerre du gaz en 2003).
La nuit de la votation, l’organe électoral diffuse les premiers résultats de 83% des scrutins : Evo Morales 45% et Carlos Mesa 38%. Ce qui amènerait selon la Constitution Bolivienne à un deuxième tour puisque la différence était inférieure à 10%. Suite à l’annonce de ce résultat, le Tribunal Supérieur des Élections Nationales cesse de diffuser des informations et revient seulement le lendemain au soir avec le résultat officiel qui concédait à Evo Morales un avantage de 10,57% sur son adversaire, évitant ainsi un deuxième tour. L’organe électoral justifie son retard pour “cause de comptage des votes dans les communautés plus distantes”, dont la plupart votant pour Evo Morales.
Les manifestations violentes orchestrées encore une fois par la droite contre ce résultat, ont débuté de suite alors que des manifestations festives avaient lieu. De nombreuses zones électorales sont détruites et les agressions contre les peuples autochtones dans les rues s’accroissent.
En réalisant la gravité de la situation de son pays, Evo Morales fait une prononciation importante dénonçant le coup d’État : “Notre démocratie est mise en danger par des groupes violents” proclame-t-il en essayant de neutraliser la violence. Il annonce aussi sa décision d’accepter l’audit de l’Organisation des États Américains (OEA). Avec ça, l’opposition est en manque d’argument pour l’accuser. Dans l’attente des résultats de l’OEA, les radicaux de Media-Luna empruntent des mesures brutales contre les peuples autochtones partout dans le pays. Parmi eux, Fernando Camacho une des principales figures du Comité de Santa Cruz, profite de l’instabilité du pays et fait un discours enflammé affirmant le retour de la Bible “qu’Evo a expulsée”.
Patricia Arce, préfet de Vindo dans la région de Cochabamba, est séquestrée par des paramilitaires masqués. Ils lui coupent les cheveux, la peignent en rouge et l’obligent à marcher pieds-nus pendant qu’ils menaçaient de lui brûler en plein milieu de la rue. La mobilisation populaire en faveur d’Evo Morales n’arrête pas les brutalités de la droite et le 9 novembre les paramilitaires masqués brûlent la maison d’Esther Morales, sœur d’Evo Morales, ainsi que celles de deux autres gouverneurs. Le même jour au soir, l’OEA annonce qu’elle a détecté des irrégularités et qu’il fallait convoquer de nouvelles élections et recréer un nouvel organe électoral. Morales se prononce à nouveau et suit les indications de l’OEA.
Encore une fois, de nombreuses manifestations pour et contre Morales s’étendent dans tout le pays. Les militaires “recommandent” à Evo Morales de quitter son poste. Dans son discours final avec son vice-président Garcia Linera, les deux renoncent et Morales demande la paix : “arrêtez d’attaquer frères et soeurs, arrêtez de brûler et d’attaquer”. Il se réfugie ensuite dans la région où il a le plus de soutien mais un ordre d’emprisonnement est émis et une persécution est commandée par Fernando Camacho depuis le Palace Présidentiel. Evo Morales s’exile alors au Paraguay puis au Mexique.
Craignant un grave retour en arrière, les peuples Quechuas et Aymaras ne perdent pas leur souffle et sortent dans les rues, encore une fois, pour protester contre le coup d’État. Mais vont-ils continuer à protester face un avenir inconnu ?
Les événements récents :
→ CEPR (Center for Economy and Policy Research) publie une étude statistique et affirme que malgré les irrégularités, la victoire d’Evo Morales au premier tour était incontestable.
→ 13 novembre : Janine Añez vice-présidente du Sénat s’autoproclame présidente et promet que c’est une “mesure temporaire” afin de convoquer les élections au plus vite mais sans Evo Morales.
→ 14 novembre : Evo morales félicite la majorité des sièges et la présidence du MAS au parlement et au Sénat par Eva Copa et Sergio Choque.
→ 14 novembre : manifestations passives contre l’auto-proclamation de la présidente à Cochabamba et la Paz réprimées par la police laissant 5 morts et de nombreux blessés.
Crédits photo : Nodal.am / José Luis Quintana / BBC / Cadena3 / Reproduction télévision / Carlos Garcia Rawlins.
Paula Tinguely