« Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus », « Tu n’es pas seule », « On te croit ». Depuis plus d’un an, les habitants de Bordeaux voient apparaître des messages féministes militants, placardés sur les murs de la ville par le collectif Collages Féministes. Leur but : interpeller sur les violences faites aux femmes (féminicides, viols, violences…), et libérer la parole sur des problématiques sociétales récurrentes, pas assez médiatisées. Mais qu’en pensent les Bordelais ?
« Un tram toutes les 8min, un viol toutes les 7min », ce collage écrit en grandes lettres noires et blanches vient d’être placardé cette nuit dans Bordeaux par le collectif militant des collages féministes. Demain matin, des milliers de bordelais verront le message jusqu’à ce qu’il soit déchiré par des contestataires ou enlevé par des agents municipaux.
« Choquer pour attirer l’œil c’est la seule option pour faire passer nos messages, et tant mieux si ça dérange. En plus ça les fait chier, y’en a pleins qui les décolle » nous explique Chloé* amusée, une étudiante militante ayant pris quelques fois part aux actions du collectif.
Une non-mixité assumée
Créé en 2019, face au manque d’engagement des médias, le collectif fait sa place dans nos villes. Viols, féminicides, injustices sociales balancés sous nos yeux, nous obligent à constater une vérité parfois niée ou ignorée.
Au sein du collectif, ce ne sont pas que des étudiant.e.s mais des militant.e.s de tout âge. À l’exception des hommes cisgenre (individu né homme et s’identifiant comme homme), tout le monde est le bienvenu pour coller : « Si il y avait des hommes cis, je pense que je n’irai pas coller, parce que c’est pas leur moment » confie une des colleuses, parce que « il s’agit absolument de faire quelque chose qui nous donne du pouvoir, et pas se retrouver avec quelqu’un qui nous protège, on le vivra différemment, on ne sera pas fières de nous de la même manière », explique Marion*, une colleuse d’une trentaine d’années, devenue très militante depuis qu’elle a rejoint le collectif.
« Il s’agit de faire absolument quelque chose qui nous donne du pouvoir »
Un collectif qui divise
La méthode des colleur.euse.s semble être approuvée à la majorité (83%), révèle notre sondage porté vers les étudiant.e.s bordelais : « des phrases courtes qui brisent des tabous sociétaux », « C’est grâce à ces filles que nous nous sentons de plus en plus en sécurité et respectées même si c’est loin d’être gagné ».
Des messages optimistes qui rendent fière Marion, qui nous partage que « des femmes viennent nous voir émues, et nous remercient, ça nous fait du bien, on se sent utile, on ne peut pas te couper la parole, c’est ça qui est hyper fort, hyper visible », « C’est une prise de parole de celles et ceux qui l’ont le moins ».
« C’est une prise de parole de celles et ceux qui l’ont le moins »
Mais tous les habitants de Bordeaux ne partagent pas cet avis, certains y voient uniquement une dégradation des murs « Je suis contre les collages qui enlaidissent la ville », « Cela détériore les bâtiments et l’urbanisme », explique un cadre de 25 ans dans notre sondage.
Les deux colleuses, Marion et Chloé, dénoncent une mauvaise excuse « Les gens qui disent ça sont gênés par les messages, ce ne sont pas des amoureux de l’architecture », « les gens ne disent pas ça de la publicité qui est une vraie pollution visuelle ».
Si les générations plus jeunes valident globalement le mouvement, en particulier chez les femmes, ce n’est pas forcément le cas de Sylvia, bordelaise de 45 ans. « On en parle déjà assez dans les médias », « Les réseaux sociaux sont là pour s’exprimer, une implication dans la vie sociale et politique fait plus bouger les choses qu’écrire sur un mur », selon une artisane de 44 ans. Certains aiment le concept : « C’est bien trouvé, certains messages sont intéressants » pour une mère de famille rencontrée à Talence. Les personnes âgées sont, elles, sceptiques, comme Abdel, un homme retraité de 73 ans rencontré à Saint-Michel : « C’est idiot, et dégueulasse ».
Une pratique illégale
Les messages, collés la nuit, peuvent rester affichés quelques heures comme quelques mois. Le plus souvent, les karchers de la mairie les enlèvent sans se soucier du message. Pour Marion « y’a des équipes qui passent pour ça, mais c’est la roulette russe je n’arrive pas à comprendre pourquoi certains durent plus que d’autres ». A contrario, les détracteurs du mouvement sont parfois très réactifs « ‘Pas de justice pas de paix’, ça ils s’en foutent les gars du quartier. Par contre ‘et ta sœur tu la siffles ?’ Ça, ça les a énervés, c’est parti plus vite ».
*Par souci d’anonymat, les noms ont été changés.
Crédits photo : Collage féministe à l’Université de Bordeaux Montaigne, le 21 octobre 2021 / Felix Gaudrie
Léa Marchebout et Félix Gaudrie
Etudiante en Info-com. Food, com’, marketing et culture, j’écris sur ce qui me passionne !