Depuis le 1er février, la Birmanie (ou Myanmar) et ses habitants ont dit adieu à leur espoir de démocratie stable. Le coup d’État militaire a placé le général Min Aung Hlaing à la tête du pouvoir, la dirigeante Aung San Suu Kyi assignée à résidence et le peuple birman révolté dans les rues.
Un passé déjà agité
Les Birmans connaissent la soif de pouvoir de leurs hauts responsables militaires par cœur. Déjà en 1962, l’armée prend le pouvoir et le pays devient une dictature marxiste jusqu’en 1988, date à laquelle d’importants mouvements de révolte éclatent, très vite tus dans le sang. Deux ans après, des élections pour créer une assemblée constituante chargée de façonner une nouvelle constitution sont organisées. Le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) en sort largement vainqueur. Mais l’armée ne l’entend pas de cette oreille et la Dame de Rangoun est assignée à résidence 5 ans puis enfermée plusieurs fois en prison et en maison d’arrêt et ne retrouve la liberté qu’en 2010. Pendant ce temps, le pays est sous l’emprise d’une junte militaire sévère : les droits de l’Homme sont systématiquement bafoués, le travail forcé est monnaie courante, les libertés fondamentales sont écrasées et les partis d’opposition sont interdits.
Esquisse de la démocratie
En 2007, après une augmentation brutale du prix des carburants, plus de 100 000 personnes manifestent durant plusieurs jours pour protester contre la junte. La révolution du safran est sans surprise réprimée violemment par les forces armées mais laisse planer un air de «ras-le-bol» dans la conscience des Birmans.
3 ans plus tard, comme prévu, l’armée au pouvoir organise un référendum pour valider la nouvelle constitution du pays. Les élections sont tout sauf démocratiques, le parti d’Aung San Suu Kyi les boycotte et la junte s’assure de conserver sa position. Mais en 2011, le chef de la junte militaire depuis 1992, Than Shwe prend sa retraite et un gouvernement civil naît avec l’accession du Premier ministre Thein Shein au poste de président de la République. Des élections législatives sont alors organisées en 2012, mais gouvernement composé majoritairement de militaires exige ; elles ne portent que sur 7% des sièges de l’Assemblée, gagnés en grande majorité par la LND d’Aung San Suu Kyi.
En 2015, le peuple birman est à nouveau appelé aux urnes pour les premières élections générales et libres depuis 25 ans. Cette fois, elles doivent désigner 498 des 664 membres des deux chambres du Parlement et c’est à nouveau une victoire écrasante pour la LND. Mais le parti excluant totalement la minorité musulmane du pays, les Rohingyas, c’est la première fois depuis l’indépendance du pays en 1948 qu’aucun élu musulman n’est présent au parlement.
Cette victoire aux législatives permet à la Dame de Rangoun de préparer une transition démocratique avec le président sortant. Htin Kyaw, membre de la LND, est élu président de la République par le Parlement en 2016. Aung San Suu Kyi accède au pouvoir la même année en tant que ministre des Affaires étrangères et porte-parole de la Présidence ce qui lui permet de facto d’être considérée comme la cheffe du gouvernement.
Le tournant
Le 8 novembre 2020, la LND assoit définitivement son hégémonie sur la politique birmane en gagnant à nouveau largement les élections législatives.
Cependant ce scrutin s’organise dans un contexte d’épidémie de Covid-19 qui rend difficile l’organisation de campagnes électorales pour les petits partis ainsi que le déplacement en masse des populations vers les urnes. Mais cette situation exceptionnelle n’est pas la seule à entraver l’élection et beaucoup de Birmans se retrouvent privés de droit de vote. Les 600 000 Rohingyas dont la moitié sont en âge de voter se voient toujours refuser la citoyenneté birmane et les élections sont annulées dans l’État de Rakhine où les combats entre l’armée et le groupe rebelle Arakan Army (AA) n’ont pas cessé depuis 2 ans. Au total c’est 2 millions de personnes sur 37 millions d’électeurs qui sont interdits de participer au scrutin. «Il s’agit d’une élection de l’apartheid» a dénoncé l’ONG Burma Campaign qui milite depuis 1991 pour une démocratie libre et des droits de l’Homme respectés en Birmanie.
Mais ce n’est rien de tout ça que dénonce l’armée au lendemain des élections. Elle affirme avoir recensé au moins 8,6 millions de cas de fraude et réclame la publication de la liste des électeurs. Dès le 26 janvier, l’armée, honteuse d’avoir obtenu si peu de voix, refuse via son porte-parole le major général Zaw Min Tun, d’exclure la possibilité d’un coup d’État si ses requêtes ne sont pas entendues. La Commission électorale n’entendit rien, récusa ces accusations infondées, refusa de fournir la liste et assura le 28 janvier que le scrutin avait été « libre, juste et crédible » et qu’il représentait « la volonté du peuple ».
Putsch
Le coup d’État militaire arrive alors très vite et les Birmans se réveillent le premier lundi du mois en état de choc face aux nouvelles. L’armée a arrêté Aung San Suu Kyi, proclamé l’état d’urgence pour un an et placé ses généraux aux principaux postes de pouvoir. La Dame de Rangoun est arrêtée pour importation illégale de talkies walkies, également depuis peu, pour ne pas avoir respecté la loi sur la gestion des catastrophes naturelles.
Myint Swe, un général, est alors nommé président par intérim et transfère le pouvoir au général Min Aung Hlaing, comme l’y autorise la Constitution écrite par et pour les militaires en 2008. Depuis le 1er février, Min Aung Hlaing est donc à la tête du pays et compte bien y rester.
Mais c’est sans compter sur le fait que la Dame de Rangoun avait anticipé ce coup d’État et rédigé une annonce à destination du peuple Birman si elle se retrouvait enfermée. Ainsi, son parti politique diffuse le même jour sur les réseaux sociaux son message dans lequel elle exhorte les Birmans à « ne pas accepter » ce putsch et à « réagir à l’unanimité ». L’armée tente « de replonger le pays sous la dictature militaire en négligeant la pandémie de coronavirus » a-t-elle déclaré.
Protestations et violences
La population birmane n’a pas attendu les consignes de Aung San Suu Kyi pour descendre dans les rues des plus grandes villes du pays par dizaines de milliers. Ils réclament le retour du gouvernement civil, la libération de celle qu’ils considèrent comme leur leader et l’abolition de la Constitution bien trop favorable au pouvoir militaire.
La junte militaire ne flanchera pas face aux manifestations pacifiques, et ça, les médecins de Rangoun l’ont très bien compris. Le 3 février, ils lancent un mouvement de désobéissance civile en décidant de ne travailler qu’en cas d’urgence. « Ce mouvement a commencé dans 70 hôpitaux, dans 30 communes de tout le pays. Cette initiative est menée par de jeunes médecins, de jeunes médecins assistants et de jeunes infirmières » a expliqué Thinzar Shunlei YI, activiste. Ce mouvement est alors très vite suivi par des milliers de birmans dans le but de bloquer les secteurs clés de l’économie. Ainsi, les employés de la Banque centrale et les cheminots se mettent en grève massivement.
Mais le pouvoir militaire n’attend pas le retour au calme les bras croisés et réprime violemment les manifestations. D’abord armés de canons à eau et de balles en caoutchouc, les policiers tirent sur les foules pour les disperser. Mais très vite, les balles en caoutchouc se virent remplacer par des balles bel et bien réelles pour écraser les protestations. La première victime en fut Mya Thwate Thwate Khaing, jeune épicière de 20 ans venue d’une ville voisine à Naypyidaw pour manifester, décédée le 19 février après avoir été touchée d’une balle dans la tête 10 jours auparavant. Le lendemain de sa mort, la jeune femme a été érigée en symbole de la résistance dans les manifestations : « La balle qui l’a transpercée a touché toutes nos têtes » déclare un contestataire.
Aujourd’hui, Mya Thwate Thwate Khaing n’est malheureusement plus la seule victime de la dictature militaire qui réprime violemment les libertés fondamentales. Au moins deux personnes ont été tuées et une trentaine d’autres ont été blessées ce samedi 20 février lors d’une manifestation à Mandalay dans le centre du pays où les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur les manifestants anti-junte militaire.
De son côté, l’armée publie une liste de militants renommés dans le pays qu’elle recherche activement pour avoir encouragé les protestations. Les policiers se voient offrir des pouvoirs d’exception qui leur permettent de perquisitionner sans mandat ou de détenir des civils pour une courte période sans l’autorisation d’un juge. L’idée d’une démocratie en Birmanie s’éloigne à grands pas.
La junte militaire de Min Aung Hlaing a promis de nouvelles élections mais entre loi martiale, violences et état d’urgence, dur d’imaginer cette promesse tenue. Le peuple birman compte bien continuer sa révolte plus que nécessaire mais des sanctions internationales sévères seraient les bienvenues.
Lilia Fernandez
Crédits photos : Jone – Aung Htet / AFP – Reuters – Reuters – Sai Aung Main / AFP
Étudiante en double licence info com / llce anglais, passionnée de journalisme, j’aime toucher à tout.