Depuis que l’Italie ferme ses frontières, les migrants suivent de nouvelles routes. L’une d’elle passe désormais par l’Espagne et par le Pays Basque. “Nous sommes face à une catastrophe dont personne ou pas grand monde ne parle” déclare Ipeh Antifaxista (collectif antifasciste du Pays Basque nord) sur son site Internet.
Tri de vêtements par les bénévoles de l’Association Diakité
Des faits qu’on ne peut plus ignorer
Dimanche 23 septembre, 21 heures, Bayonne. Je suis sur la Place des Basques et je m’apprête à monter dans un bus direction Bordeaux. Autour de moi ils sont une bonne vingtaine. Qui donc ? Ceux qui “sont lààà, dans nos campaaagnes, dans nos viiilles”… et là-dessus, notre bonne vieille Marine n’a pas tort : ils sont effectivement dans ma ville (scandale). Mais je ne vois que des êtres humains mal vêtus (en t-shirt et tongues sous la pluie !), et je devine que ce sont les vêtements qui leur ont été donnés lorsqu’ils sont arrivés en Europe. Fatigués et terriblement stressés, ils ne savent pas s’ils vont être autorisés à monter dans le bus. Et pourtant ils attendent – et depuis plus longtemps que moi. Le chauffeur arrive enfin et commence à scanner les billets. Je fais la queue ; juste en face moi se trouve un homme beaucoup trop mince pour sa grande taille. Il tente de convaincre le chauffeur, dans un français mal maîtrisé, de les laisser monter dans le bus, lui et sa famille. A ses côtés se tient une jeune femme qui allaite son fils, entourée de deux enfants en bas-âge qui courent autour d’elle. Le chauffeur est embêté parce que, d’après le règlement, les enfants de moins de trois ans n’ont pas le droit de prendre le bus sans siège bébé adapté. Panique dans les yeux des parents. Ils insistent, essaient de le convaincre, mais rien n’y fait : le règlement c’est le règlement. “Vous ne pouvez pas monter, c’est comme ça”, sentencie le chauffeur. Je leur jette un dernier regard avant de monter dans le bus. Ils ont l’air désespéré. Et je me demande ce qu’ils vont faire. Vont-ils attendre l’arrivée du prochain bus ? Tenter leur chance une fois, deux fois, mille fois jusqu’à ce qu’un chauffeur les laisse monter ? Vont-ils dormir dans la rue cette nuit ?
Bayonne : nouveau pôle de migration
A Bayonne, de nombreuses associations tentent d’aider les migrants qui parviennent à rentrer dans la ville. “On est vraiment sur du transit de très courte durée, ça veut dire qu’ils viennent d’arriver et qu’ils attendent de prendre le bus : ça peut être deux heures, quatre heures, 24 heures…” explique Maite Etcheverry, présidente de l’Association Diakité. Mais les bénévoles manquent de soutien et d’aide : face à la passivité des autorités, 200 personnes ont manifestées le jeudi 18 octobre sur la place de la mairie de Bayonne. “A manger et un toit pour les migrant-e-s !” ont-ils réclamé. Il se trouve que le Collectif Solidarité MigrantsEtorkinekin avait envoyé une lettre ouverte au Président de la Communauté d’Agglomération Pays Basque un mois auparavant, dans laquelle il demandait la mise en place urgente d’un dispositif d’accueil pour les migrants… mais cette lettre est restée sans réponse. Suite à cette manifestation, Jean-René Etchegaray, le maire de Bayonne, a assuré qu’il trouverait « les moyens nécessaires pour assurer dans les meilleurs délais possibles ce secours, et cela bien évidemment avant l’arrivée des grands froids« .
Pendant trois semaines, des bénévoles ont apporté nourriture et vêtements chauds aux migrants de la Place des Basques. Des maraudes étaient organisées tous les soirs entre 19H et 21H pour leur venir en aide et s’assurer qu’ils ne dormiraient pas dans la rue (les bénévoles se relayaient pour l’hébergement). “Ca n’a pas duré longtemps les maraudes de 19H à 21H, comme y a des gens qui arrivent tout le temps et qu’il y a des besoins tout le temps, puis comme on était de plus en plus sollicités on est resté de plus en plus…” [Maite Etcheverry, n.d.l.r.]. Ils étaient à bout : à eux seuls ils ne pouvaient pas subvenir aux besoins des migrants, aussi ont-ils réclamé une aide urgente des autorités. La mairie a finalement tenue parole en leur trouvant un local sur le Quai de Lesseps dans lequel l’Association Diakité a pu emménager. Cette association, créée par des étudiants de la fac de Bayonne, a vu le jour il y a seulement un mois, et porte le nom du tout premier migrant mineur qu’ils ont aidé. Nous avons interrogé Maite Etcheverry, présidente de l’association Diakité, et Chloé Etchamendy, porte-parole de l’association. (cf. Interview de Diakité)
Distribution de gants aux migrants par une bénévole de l’Association Diakité. [les visages ont été censurés à la demande de l’association]
Une transition migratoire
L’immigration n’est pas un problème récent, elle a toujours existé. Or, ces dernières mois, les vagues d’immigration en provenance d’Afrique se sont accentuées. En juin 2018, le nouveau premier ministre italien Matteo Salvini a décidé de fermer l’accès aux ports aux migrants secourus dans la Méditerranée par des ONG. Cette politique radicalement antimigratoire n’a pas été sans conséquences. En effet, c’est désormais par le Pays Basque espagnol que les migrants tentent de passer pour arriver en France. Ils sont majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest, “avec énormément de personnes de Guinée Conakry et du Mali” nous informe Maite Etcheverry. Ils ont dû traverser la Méditerranée depuis le Maroc pour pouvoir accoster en Europe, étant donné que la Libye a fermé depuis peu (avec le démantèlement de nombreux gangs de passeurs) et que l’accès à l’Italie est devenu risqué depuis cet été. Le passage par l’Espagne est certes moins risqué mais il est plus coûteux au niveau des frais de passeur. Le prix peut monter jusqu’à 5000 euros pour les moins chanceux, et uniquement pour entrer en Espagne puisqu’une fois qu’ils atteignent la frontière française ils doivent de nouveau payer. Pour entrer dans la ville de Bayonne (la plus grande ville du Pays Basque français) il faudrait payer entre 100 et 150 euros, parfois plus. Evidemment, les contrôles ont subi une nette augmentation en seulement quelques mois, et une branche de CRS spécialisés a été attribuée à la frontière dans le but de ralentir l’afflux de migrants. Cependant, il semblerait qu’il y ait eut quelques abus de pouvoir de la part de la Police française, qui aurait reconduit des migrants depuis Bordeaux jusqu’à Irun (Pays Basque espagnol) illégalement. EITB [Euskal Irratia eta Telebista, “Radio et Télévision Basque”, n.d.l.r.] a diffusé des images d’une camionnette blanche conduite par des policiers français déposant des migrants dans les rues d’Irun (et non pas au poste de police). Peu de temps avant, cette même camionnette avait déposé d’autres migrants sur le pont de Behobi, qui unit Irun à Hendaye. Aucun signe distinctif ne permettait d’identifier ce véhicule comme appartenant à la Police.
Et ce n’est que le début
L’arrivée en France des migrants ne marque pas toujours la fin de leur calvaire. Même si certains migrants décident de rester au Pays Basque, beaucoup d’autres ont pour projet de continuer leur odyssée vers le Nord (direction région parisienne pour la plupart, direction l’Allemagne ou l’Angleterre pour les plus ambitieux).
Et chez Diakité, un nouveau problème a fait surface : l’arrivée de trois “mamas” au sein de l’association. Mais ne vous laissez pas berner par leur joli surnom : ce ne sont pas de gentilles mamans. En fait, ce sont des femmes qui recrutent des prostituées. C’est tout de suite moins mignon… Il paraît même que le recrutement a déjà commencé ! Et lorsque l’on demande à une bénévole pourquoi ne dénoncent-ils pas ces personnes à la Police, celle-ci répond qu’ils n’ont pas cette autorité-là. Il serait effectivement contradictoire de dénoncer des personnes qu’ils ont recueillis, ça irait à l’encontre de leurs principes… Dans ce genre de situation, les associations se retrouvent donc entre le marteau et l’enclume.
Leire Pons
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Crédits photo : Leire Pons / Andde Irosbehere