Ce mardi 17 novembre, le rendez-vous littéraire de l’année 2020 est enfin arrivé. Le premier tome des mémoires de l’ancien président américain, Barack Obama, est sorti : Une Terre Promise. Pour l’occasion, il fut l’invité exceptionnel de France 2, interviewé par le journaliste François Busnel de La Grande Librairie. Récit.
Noir, président et écrivain
Barack Obama, hawaïen, est le premier homme noir à atteindre la fonction suprême le 20 janvier 2009. Le 44ème président des États-Unis, avec ses deux mandats consécutifs, a marqué l’histoire de son pays mais aussi celle du monde. C’est un ancien premier dirigeant qui a insufflé la foi dans le pouvoir comme le décrivent les Éditions Fayard (éditions du livre traduit en français). Ce récit intime, personnel est paru simultanément dans 23 pays différents. Barack Obama a vu les choses en grand et a demandé le tirage de 3 millions d’exemplaires aux États-Unis contre 20 000 pour la France. Michelle Obama, ex-première dame, a vendu en France plus de 500 000 exemplaires de son autobiographie sortie en 2018 et 14 millions dans le monde. Va-t-il faire mieux ?
À travers les 848 pages traduites en français (768 pour la version originale), le politique revient sur son premier mandat. Il raconte ses années universitaires, la vie d’un étudiant noir, son ascension à la Maison Blanche, sa vie « d’avant ». Ce premier tome s’achève sur l’année 2011 à la mort d’Oussama Ben Laden, un djihadiste saoudien exécuté sous ses ordres. Le récit aborde également les nombreuses injures lancées par son successeur Donald Trump, telle que la mise en doute de sa nationalité qui lui a valu de justifier son acte de naissance. Pas l’once d’une rancune, Barack Obama se confie, pense, et tente de comprendre la société dans laquelle il vit.
La sortie d’un tel livre pendant la situation actuelle est un pari risqué (librairies, rayons cultures etc. étant fermés). Une grande promotion médiatique a été pensée afin d’avoir une bonne communication auprès du public. Les Éditions Fayard ont notamment publié une vidéo de présentation : musique mélancolique, images en noir et blanc, avec la voix stone de Barack Obama peignant ses mémoires. Récit personnel ou journal intime, il y révèle comment d’un jeune homme perdu, il est arrivé à président et comment il a trouvé un but à sa vie. Son objectif est d’inspirer les jeunes en dévoilant son héritage, sa culture, sa différence, son métissage. Donner un compte-rendu « honnête de sa présidence ».
« Vers le réveil de la citoyenneté »
Le grand entretien avec Barack Obama mené par François Busnel a été enregistré à Washington le 15 novembre dernier et retransmis sur France 2 hier soir. L’homme « très charismatique » dira le journaliste, est un véritable amoureux de la littérature. Les livres l’ont aidé à gouverner. L’intervieweur débute l’échange en soulignant cette phrase de l’écrivain : « [l’écriture de ce livre a été faite au moment où] notre démocratie semble vaciller ». Le résultat des élections américaines 2020 devrait remettre de l’ordre et réunifier le pays. Ce dénouement est le départ d’une nouvelle Amérique : celle de Joe Biden et de Kamala Harris. Ce sera un retour à certaines normes, usages, et respect. Barack Obama s’en montre convaincu. Selon lui, l’obéissance a des pratiques institutionnelles est essentielle à la démocratie, et, a fortiori, à la réduction des divisions. C’est un combat d’idées qui devra continuer dans le long terme, aucune réponse unique n’est possible. L’ancien président parle plutôt d’un « réveil de la citoyenneté ».
L’image de la démocratie de 2016 à 2020 a totalement été bouleversée par Donald Trump. Comment en sommes-nous arrivés là ? Barack Obama lui-même s’est interrogé, il est conscient d’avoir été populaire du début à la fin de ses mandats. Néanmoins, les divisons dues à la mondialisation se font ressentir. Les zones urbaines, d’un point de vue cosmopolite, ont mieux réussi que les zones rurales qui perdent peu à peu pied. Ce sentiment est d’autant appuyé par les grands médias de droite. « Le Politique ne concerne pas seulement la politique […] c’est une question d’histoire pour dire qui nous sommes » explique l’ancien chef du pays. À travers son histoire racontée, l’objectif est de rappeler aux américains qui ils sont vraiment. D’après Barack Obama, le reflet du bon fonctionnement du gouvernement américain a été lors de sa décision d’exécution d’Oussama Ben Laden. En parallèle de cette opération très risquée sur le plan militaire, Donald Trump était en train de mener son « cirque ». Big Contrast …
De là, les grands médias du pays ont compris que Trump était capable d’attirer du monde, capable de faire « cliquer » dira Barack Obama. L’histoire a montré la tension omniprésente de la vie politique américaine, personne ne s’attendait à un tel dénouement en novembre 2016, ni même l’hôte de l’entretien. Il nous confie son incompréhension face à l’intérêt des américains pour un tel personnage, qui n’a que des théories « folles ». François Busnel recentre le discours sur l’aspect narratif du livre qu’il compare à l’Odyssée D’Homère. « Un coq nain qui bombe le torse » écrit l’auteur pour parler d’un de ses fidèles partenaires : Nicolas Sarkozy, ancien président français. Barack Obama le qualifie de quelqu’un en mouvement, de plein d’énergie et de charme. Sa relation avec la France sous Sarkozy était une bonne combinaison. « L’Europe en tant que partenaire des États-Unis et les relations transatlantiques sont des choses qui me tenaient et qui me tiennent encore à cœur » déclare-t-il. Joe Biden peut les restaurer.
Outre l’Amérique de Trump ou la future de Biden, le journaliste aborde la question raciale, question sensible pour le pays. Colson Whitehead, Jesmyn Ward ou encore Toni Morrison sont des écrivains noirs qui ont largement inspiré Barack Obama. D’après lui « débarrasser l’Amérique de son passé racial » est possible. Pour cela, il ne faut pas faire comme si ce passé douloureux n’existait pas, il faut assumer. L’esclavage, les lois de Jim Crow influencent toujours… Les conséquences sont vives : gros écarts de richesses, de revenus. L’ancien président fait un parallèle avec la situation actuelle en montrant que le taux de mortalité chez les gens de couleurs est beaucoup plus élevé et cela car ils sont en moins bonne santé dès le départ par rapport aux blancs. « Tout ça remonte au passé. » assure-t-il et il faut « fouiller ce passé » pour pouvoir être honnête avec l’histoire du pays. Les Allemands ont assumé leur passé Nazi, les États-Unis doivent en faire de même. Son objectif est de responsabiliser ceux qui nient.
Barack Obama cite : « Il ne faut pas essayer de répondre aux questions de race en tant que victimes et coupables mais en tant que situation humaine ».
Homme avant d’être Président
Au cours de son entretien, le 44ème président des États-Unis rappelle que tous les hommes qui accèdent à la fonction suprême ou simplement qui font de la politique sont des êtres humains comme tous les autres, et qu’ils ont des doutes. Jusqu’en 2008, il avait une vie « normale » et c’est pour cela qu’il veut « démystifier la fonction et expliquer que c’est un emploi ». Un fossé est présent entre l’image publique, la politique et l’homme. Barack Obama n’a fait que son travail. Largement placé sur un piédestal car il a notamment réussi à faire d’une campagne électorale une forme de culture populaire. Un débat sur la nature du leadership politique est lancé entre les compétences bureaucratiques, politiques et cérémonielles.
Au Royaume-Uni, la Reine Elizabeth II remplit la fonction cérémoniale et le Premier ministre se charge des fonctions ministérielles. Aux États-Unis, le président doit assurer les deux. Barack Obama aborde la notion d’isolement de cette fonction très convoitée. Lui a essayé de s’adapter à tous ces protocoles, tous ses rôles et non pas de s’en imprégner. Il ne faut pas « croire à son propre hipe, son propre battage médiatique » pour ne pas tomber dans un état d’esprit qui n’est pas le vôtre avant d’avoir la fonction suprême dit-il avec humilité et bienveillance. L’ancien chef d’État a gardé la tête froide car si le peuple américain a pu l’élire, il était capable de le démettre.
Dans ses mémoires, Barack Obama s’adresse avant tout aux jeunes. Il veut leur prouver qu’eux aussi ont une voix. Lors du discours de Prague sur la dénucléarisation, il explique que des jeunes militants étaient présents. 22 ans et la volonté de changer le monde ! Il s’est identifié à eux, il avait la même mentalité à leur âge et il en est arrivé là aujourd’hui. Alors Barack Obama appuie sur le fait que « chaque voix compte » et que « collectivement nous contribuons tous à essayer de faire une différence ». Sa philosophie sera récompensée par l’éloge de Toni Morrison, prix Nobel de la littérature décédée en 2019. Sur une petite vidéo elle affirme que cet homme politique noir est quelqu’un de « fort […] de profondément intelligent et d’humain ». Pour elle, personne n’est au-dessus de lui.
Très touché par les propos de cette femme qui l’a tant inspiré, Barack Obama rebondit sur les avantages d’avoir été président. Il a eu le privilège de rencontrer des personnes qu’il idolâtrait. Écrire lui a permis de décrire les questions humaines fondamentales et d’apporter la sensibilité littéraire dans sa présidence. « La bonne littérature vous sort de vous-même […] et vous découvrez qui vous êtes réellement » a-t-il appris. Nous avons tous une histoire personnelle mais nous avons tous une histoire commune qui constitue le fil conducteur de l’humanité. « Pouvoir regarder l’autre » est indispensable pour le comprendre mais aussi pour sortir des conflits mondiaux. L’homme doit reconnaître son humanité et son intérêt.
« Quoique tu fasses ça ne sera pas assez mais essayes quand même ! », propos fort tiré de ses mémoires. En 2009, Barack Obama a reçu le prix Nobel de la Paix. C’était une forme d’encouragement d’après lui. Être un président en temps de guerre et recevoir un prix pour la paix est un paradoxe qu’il a eu du mal à comprendre. La non-prolifération nucléaire, le réchauffement climatique et la paix au Moyen-Orient, était-il possible de tenir toutes ces promesses ? Non. Tout ce qu’il pouvait faire c’était essayer, essayer de faire avancer les choses. « L’effort en vaut la peine ! ». Son objectif était de donner un sens à sa vie : rendre le monde meilleur. À travers ce premier tome Une Terre Promise, il a tenté de toucher de près le sens de l’émerveillement et du mystère qui caractérise son passage sur Terre.
« Pendant ce voyage, si j’ai fait du bien dans ma vie, si elle a un sens c’est grâce au travail que j’ai accompli pour aider les autres, à l’amour que j’ai ressenti pour ma famille et mes amis et à l’intégrité avec laquelle j’ai essayé de vivre » – Barack Obama
Camille Juanicotena
Crédits photo : Pixabay
Étudiante en M1 Nouvelles Pratiques Journalistiques à Lyon 2, mon but est de devenir journaliste. J’écris sur tout ce qui m’intéresse de la politique à la télé. Tout sujet est bon à traiter.