Nous avons interrogé Maite Etcheverry, présidente de l’association Diakité, et Chloé Etchamendy, porte-parole de l’association.
Combien de personnes accueillez-vous par jour ?
M.E. : C’est un peu difficile à dire parce qu’il y a des gens qui arrivent à tout heure du jour et de la nuit et qui repartent en bus.
C.E. : Je dirai qu’on accueille entre 80 et 100 personnes par jour. Il y a un pic le dimanche parce qu’il y a moitié moins de bus.
M.E. : On est sur une centaine de personnes par jour. Mais maintenant qu’on a un point fixe on va pouvoir savoir plus précisément. Jusqu’à présent on a beaucoup improvisé, donc difficile de savoir qui est parti à quelle heure…
D’où viennent-ils pour la plupart ?
M.E. : Afrique de l’Ouest surtout, avec énormément de personnes de Guinée Conakry.
C.E. : Là, en ce moment, personne n’en parle et les Guinéens n’ont pas leur demande d’asile quand ils la demandent, et pourtant en Guinée Conakry c’est entrain de chauffer sévèrement.
M.E. : On l’a découvert en discutant avec eux. Il y a une situation économique très mauvaise et un état qui n’est pas une démocratie, avec pas mal d’exactions, de meurtres…
C.E. : Le président est français d’ailleurs ! Il a fait ses études à la Sorbonne.
M.E. : On est en pleine Françafrique… pourtant la Guinée est hyper riche, c’est-à-dire qu’il y a des sous-sols de diamants, d’or, de matériaux utiles à la fabrication de téléphones portables…
C.E. : On est en plein dans le néocolonialisme, sauf que plus personne n’en parle et que, comme c’est des présidents noirs, personne ne s’y intéresse.
Du coup la France est présente en Guinée pour extraire ses ressources, notamment l’uranium ?
C.E. : L’Afrique se fait piller.
M.E. : Et pas spécialement par la France, par tous les pays européens, même par la Chine… Sinon, le deuxième pays qu’on accueille le plus c’est le Mali, mais bon là on n’est pas hyper étonnés parce que l’armée française est déployée au Mali donc on savait déjà que ça se passait pas très bien là-bas.
Pour revenir au Pays Basque, j’ai pu voir des migrants se faire recaler d’un bus parce qu’ils n’avaient pas de siège bébé adapté…
C.E. : C’est sur ce genre de choses qu’on intervient aussi, on donne des réhausseurs maintenant parce que, suivant les compagnies de bus, le règlement intérieur stipule que les enfants [de moins de trois ans] doivent avoir des réhausseurs. Et pour les conducteurs qui refusent certaines personnes, on est là aussi pour s’assurer que tout se passe dans la légalité. Par exemple, un conducteur de bus qui demande des papiers d’identité n’a pas le droit de le faire. On est là pour veiller à ce que ceux qui ont leurs tickets valides puissent rentrer dans le bus sans qu’on les refoule.
Pendant combien de temps les accueillez-vous ?
M.E. : On est vraiment sur du transit de très courte durée, ça veut dire qu’ils viennent d’arriver et qu’ils attendent de prendre le bus : ça peut être deux heures, quatre heures, 24 heures…
C.E. : Il y en a qui arrivent tard dans la nuit, à qui on envoie les billets et qui repartent le lendemain.
Est-ce que c’est vous qui leur payez les billets de bus ou est-ce qu’ils se les procurent par leurs propres moyens ?
M.E. : [rires] Alors moi je suis étudiante, elle est au chômage, j’aimerai bien faire ça mais avec 100 personnes par jour faudrait un gros budget ! Quand on était Place des Basques on les accompagnait en magasin acheter leurs billets, mais aujourd’hui il n’y plus ces magasins. Là, on est entrain d’avoir un nouveau système, c’est des cartes bancaires qui ne sont pas de vraies cartes bancaires. On les achète en bureaux de tabacs, on les crédite et après on peut faire des achats sur Internet, donc notamment pour les billets de bus.
C.E. : Il faut savoir qu’on ne touche pas à l’argent, c’est-à-dire que même s’ils ont de l’argent en liquide et qu’ils nous proposent par exemple de prendre leurs billets avec nos cartes bleues et de nous filer le liquide, nous on refuse. Ca fait partie des choses que ne fait pas l’association. Par contre on peut les accompagner, les avoir au téléphone pour les guider, etc. On leur conseille notamment de ne surtout pas prendre Eurolines.
Et pourquoi est-ce qu’ils ne devraient pas prendre de bus chez Eurolines ?
C.E. : Parce qu’Eurolines c’est une catastrophe du début à la fin ! Il y a eu des propos racistes, des menaces sur bénévoles, des agressions physiques et verbales. Il y a des bus qui ne passent pas alors que des gens ont payés leurs tickets. Il y a eu des fois où il y avait un passager blanc et un passager noir, et ils n’ont même pas chercher à regarder le billet du passager noir : ils ont prit le passager blanc et ils se sont barrés. Il y a aussi eu du délaissement d’enfants, ils ne sont pas venus chercher des mineurs qui se sont retrouvés tous seuls la nuit dehors… mais on était là, heureusement.
Vous êtes donc ouverts tous les jours, vous n’avez pas d’horaires spécifiques… ?
M.E. : C’est H24, 7 jours sur 7. Nous par contre on est pas tout le temps là, on a des roulements entre nous.
Ca a donc changé, puisqu’avant vous organisiez des maraudes tous les jours de 19H à 21H.
M.E. : Ca n’a pas duré longtemps les maraudes de 19H à 21H, comme y a des gens qui arrivent tout le temps et qu’il y a des besoins tout le temps, puis comme on était de plus en plus sollicités on est restés de plus en plus… on a commencé à faire les soirs puis les nuits, puis finalement il faut amener le petit-déj’ le lendemain, donc on a trouvé des gens qui prenaient le relais, il y a des gens en permanence.
Vous avez dû aider des familles, des femmes avec des nourrissons…
C.E. : Oui, et même des femmes enceintes sur le point d’accoucher là, tout de suite, maintenant. On a aussi eu des nourrissons de un mois, deux mois, cinq mois, dix ans… on a eu tous les âges.
M.E. : Après c’est rare les enfants qui ont plus de trois ans, parce que typiquement ce sont des enfants qui sont nés sur le parcours migratoire, donc c’est pas vraiment des projets d’enfants hein… on est sur des enfants issus de viols, et aussi des petits enfants parce qu’ils peuvent être la raison du départ de la femme, c’est pour ça qu’on rencontre surtout des enfants de moins de trois ans et des femmes seules avec leurs enfants.
Donc j’imagine que dans les produits d’hygiène que vous leur distribuez on retrouve des préservatifs ?
M.E. : Bien sûr, [rires] mais la distribution de préservatifs est un grand moment merveilleux de gros fous rires, parce qu’au début ils sont un peu circonspects, et on leur dit “Bah c’est pour quand tu te trouveras une copine ou une copain”, et là ils rigolent parce que c’est vraiment pas la première chose à laquelle ils pensent en arrivant ici ! C’est ça aussi qui est sympa qu’on soit une équipe de jeunes au départ, parce que pour nous c’est des alter-egos, on est de la même génération, on est pas gênés du coup ça se passe tranquillement, c’est hyper agréable.
Vous êtes pour la plupart étudiants, mais est-ce que vous vous connaissiez déjà tous au départ ?
M.E. : Le groupe de départ c’était un groupe de potes, dont pas mal d’étudiants de la fac de droit de Bayonne, de lettres et de basque aussi, et petit à petit on a appelé nos copains, puis on a lancé l’appel sur les réseaux sociaux, et là par contre ça a explosé…