« Rust » : Quand la fiction devient réelle

 « Rust » : Quand la fiction devient réelle

Après une course-poursuite à cheval, le cow-boy arrive dans un village silencieux sous un soleil de plomb. Dans ce désert où le suspense est pesant, aucun bruit si ce n’est le souffle du vent. Le protagoniste s’avance d’un pas lent, la main au-dessus du porte révolver. Quand arrivent les ennemis, il dégaine plus vite que personne, et tire.
Une scène de western culte qui fait rêver les enfants. Ceux-ci dans l’innocence de leur jeune âge ont tous un jour cru que l’acteur mourrait en même temps que son personnage.

Cette drôle de croyance enfantine, bien que fiction, est devenue un peu trop réelle sur le tournage de « Rust ». Comment un tel accident a pu se produire ? Le point sur un fait-divers en 3 actes où le cow-boy ne sort pas toujours gagnant.

 

Scène 1 : Point de départ, « Il joue de l’harmonica… mais […] aussi de la gachette » 1

Lucas, 13 ans et coupable de meurtre, est condamné à la pendaison. Aidé par son grand-père, le célèbre hors-la-loi Harland Rust, il fugue pour échapper à sa peine. Au cœur du Kansas, les deux fugitifs doivent fuir un maréchal et un impitoyable chasseur de primes.
Voilà toute l’histoire de « Rust », dernier western réalisé par Joel Souza, dont le personnage principal n’est incarné par nul autre qu’Alec Baldwin.

Le 21 octobre dernier, le soleil toujours tapant du désert est à son sommet. Au ranch de Bonanza Creek (Nouveau-Mexique) où l’équipe de tournage prend sa pause de midi, le cow-boy s’exerce, dégaine son arme face caméra et tire.
Contrairement au XIXe siècle, époque où se déroule le scénario, en 2021, les armes sont factices. Mais pas cette fois puisqu’Alec Baldwin, tueur malgré lui, touche sa victime, Halyna Hutchins, directrice de la photographie. Le tir fatal terminera sa route sur l’épaule du réalisateur, Joel Souza, juste derrière elle au moment de l’accident.

Commencent alors toutes les spéculations. Qui est responsable ? L’armurière, l’acteur, le producteur ? Que venaient faire des balles réelles sur le lieu de tournage ? S’agit-il d’un coup monté ? Y avait-il négligence ?
Le tournage du film ne reprendra pas. L’intrigue est pourtant lancée.

Premier mis en cause : l’assistant-réalisateur, David Halls, qui a remis l’arme du meurtre à Alec Baldwin durant la répétition. Si celui-ci est chargé d’informer l’acteur qu’elle est, dans le jargon cinématographique, froide (inoffensive), il n’a pour autant pas vérifié que les cartouches du revolver étaient bien fausses.

Vient ensuite l’armurière, Hannah Gutierrez-Reed, responsable de toutes les armes à feu utilisées par l’équipe. La concernée s’est dite victime d’une machination et affirme n’avoir « aucune idée de la provenance de ces munitions réelles », selon ses avocats.

S’il ne s’agit pas ici de trouver un coupable, des poursuites pénales ne sont pas exclues si les responsabilités sont plus tard attestées.

 

 

Scène 2 : L’enquête, « Un certain laisser-aller sur ce plateau »

De nouveaux protagonistes font alors leur apparition dans l’intrigue : les enquêteurs et les autorités locales. On ne fait état, à ce jour, d’aucune machination. Pas d’arrestation mais plusieurs perquisitions sur le tournage, qui ont permis la saisie de 500 cartouches. Ces munitions censées être factices ou à blanc ont vraisemblablement été mêlées à de vraies munitions, selon le shérif en charge de l’enquête, Adan Mendoza, qui déplore un « laisser-aller sur le plateau ».

Vient donc le temps de l’expertise de ces pièces à conviction, tout comme la balle responsable de la mort d’Halyna Hutchins et de la blessure de Joel Souza.

La procureure du comté de Santa Fe, Mary Carmack-Altwies, n’exclue encore personne bien qu’il soit encore trop tôt dans l’enquête pour donner le nom d’un « coupable ». Alec Baldwin pourrait être poursuivi pénalement, d’autant plus que l’acteur apparaît dans la liste des producteurs du western.

 

Scène 3 : Conséquences, « La prime pour la capture de cet homme est de 5 000 dollars »1

Pas de chasse à l’homme cette fois-ci mais des actions sont tout de même attendues. Le tir, accidentel mais mortel, d’Alec Baldwin a non seulement endeuillé Hollywood mais révolté le monde du cinéma.

L’industrie cinématographique est encadrée par des règles, non pas des lois, très strictes sur l’usage des armes à feu lors des tournages. Le bulletin de sécurité en question proscrit, théoriquement, l’utilisation de balles réelles dans un but évident. Cependant, en pratique, tout est différent car ces règles strictes ne sont que gage de simples recommandations, n’ayant pas force de loi. Pourtant, « traiter les armes à feu comme si elles étaient chargées. […] Aucune munition réelle ne doit être utilisée ou apportée dans un studio ou sur un plateau » est bien inscrit noir sur blanc sur le bulletin.

Le drame a largement fait écho dans la sphère publique. Alec Baldwin lui-même a déclaré sur Twitter « Chaque tournage de cinéma ou de télévision qui utilise des armes à feu […] devrait avoir sur le plateau un policier payé par la production pour s’assurer de la sécurité des armes ».
Dwayne Johnson a lui annoncé s’engager à ne plus utiliser de vraies armes pour ses films.

 

Beaucoup de voix qui s’élèvent donc, réclamant un meilleur contrôle voire un abandon des armes à feu sur les tournages, mais des mesures concrètes restent à prendre.

 

1Répliques du film « Il était une fois dans l’Ouest » (1968), Sergio Leone.

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Célia Ory

Étudiante en troisième année d’information & communication, passionnée d’actualité et de culture, intéressée par le monde & les gens, je souhaite rejoindre la grande famille des journalistes.