Manifestations en Corse : 4 points pour en comprendre les enjeux

Manifestations en Corse : 4 points pour en comprendre les enjeux

Passés les heurts entre jeunesse militante et forces de l’ordre de dimanche dernier en marge de la manifestation à Bastia, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est prononcé ce matin au nom du gouvernement comme prêt à aller jusqu’au statut d’autonomie corse. De l’agression d’Yvan Colonna, au soudain réveil de l’ardeur militante corse en passant par l’inflexion du gouvernement : comment comprendre ces manifestations ?

 

Que se passe-t-il en Corse ?

Des affrontements ont eu lieu dans plusieurs villes de Corse en marge de manifestations organisées en soutien à Yvan Colonna. Ce militant indépendantiste corse, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Érignac en 1998, est plongé dans le coma depuis son agression le 2 mars dans la prison centrale d’Arles (Bouches-du-Rhône). Depuis, les manifestations se sont multipliées sur l’île à l’appel d’organisations de jeunesse et de mouvements nationalistes qui jugent l’État responsable de cette agression.
Dans la nuit du 9 mars, une trentaine de personnes, des civils et des CRS, ont été blessées lors de ces émeutes. À Ajaccio, des manifestants ont pénétré dans le palais de justice et ont lancé plusieurs départs de feu. À Calvi, une quarantaine de manifestants ont jeté des cocktails Molotov contre la sous-préfecture.
Ce pic de violence surgit la nuit du 9 mars, après que le Premier ministre, Jean Castex, ait radié Yvan Colonna du répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS) en raison de son état de santé.
En réaction, la sœur d’Yvan Colonna : Christine Colonna, publiait le même jour une lettre s’adressant « à la jeunesse insulaire », composante majoritaire des manifestants dans laquelle elle dit « reconnaître sa colère » mais appelle à la « lucidité » en vue « d’éviter un nouveau drame ».
Elle fustige toutefois l’Etat en frappant les décisions gouvernementales de « provocation » et de « piège ».

 

Le nationalisme corse : des premières générations à aujourd’hui

La Corse fut rattachée de force à la France au XVIIIe siècle. Dans les années 1960, le territoire corse voit quelques-unes de ses terres attribuées aux Français rapatriés d’Algérie. Perçues comme un gommage des spécificités culturelles corses, ces attributions foncières participent d’un contexte économique tendu et ajoute aux revendications sociales une dimension culturelle : l’île voit alors naître ses premiers mouvements régionalistes.
En 1975, l’intervention des forces de l’ordre durant l’occupation d’une cave viticole par le parti Action régionaliste corse engage l’ère de radicalité et de violence de la lutte nationaliste qu’on croyait fermée depuis 2015 avec la victoire de la coalition nationaliste corse « Pè a Corsica » à la Collectivité territoriale de Corse. Depuis, la liste d’élus autonomistes emportait en 2021 les élections territoriales consacrant l’institutionnalisation de la lutte autonomiste en dépit des indépendantistes.
Mais le degré de violence caractéristique des manifestations en soutien au militant nationaliste Yvan Colonna ces derniers jours déterre la question de l’activisme nationaliste et la repose sur la table.

 

Le statut DPS, nerf de la guerre

Le 2 mars 2022, l’ex-militant nationaliste corse Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Erignac, était brutalement agressé en prison par un codétenu malgré la protection que lui garantissait l’Etat. Les rues de Bastia, Ajaccio et Corte se sont alors vite remplies d’une jeunesse manifestant en soutien au condamné.
Le statut DPS (Détenu Particulièrement Signalé), qui s’applique aux détenus en raison de leur personnalité (grand banditisme, terrorisme, actes politiques) et dont était affecté Yvan Colonna supposait une détention en maison centrale, loin de sa famille en Corse. Mais également une surveillance exceptionnelle y compris en prévention de son intégrité physique.
La nature hautement violente de son agression (durant 8 minutes, dans la salle de sport de la maison d’arrêt) est aux yeux de ses soutiens une faille du statut DPS, dont les proches d’Yvan Colonna réclamaient depuis longtemps la levée.
Le traitement du détenu est perçu comme un mélange de mépris et de défiance du pouvoir à l’égard des nationalistes corses. Puis, la levée consécutive le 11 mars du statut de DPS d’Yvan Colonna en raison de son état de santé est quant à elle ressentie comme une provocation.

 

L’autonomie, pourquoi maintenant ?

Les positions du gouvernement, d’abord situées sur le plan de l’apaisement avec la levée des statuts DPS le 11 mars dernier d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, tous deux complices d’Yvan Colonna dans l’assassinat du préfet Erignac, s’est déplacé ce matin sur le terrain de l’autonomie.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est prononcé favorable à l’autonomie corse au nom du gouvernement.

Les affaires de l’Île, qui dépendaient de Jacqueline Gourault (ancienne ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales) avant le 8 mars, date de son transfert au Conseil Consitutionnel, semble incomber à M. Darmanin plutôt qu’au successeur de Mme. Gourault, Joël Guiraud.

L’exceptionnalité de la position gouvernementale sur le statut corse trouve son explication dans le resserrement de l’agenda présidentiel, à la fois devant l’échéance du premier tour et, face à l’urgence internationale du moment.
A noter que l’histoire séparatiste corse a laissé de fortes impressions dans les esprits. Et que la situation sur l’Île de Beauté laisse entrevoir la vitalité de la culture nationaliste corse et le présage d’une résurgence de ses actes violents, qui oblige à de fortes mesures.

 

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