La vie chère en Martinique, mythe ou réalité ?

La vie chère en Martinique, mythe ou réalité ?

Bien que la vie soit revenue à peu près à la normale en Martinique, ce n’était pas le cas il y a quelques semaines. De nombreuses révoltes ont éclaté à divers endroits de l’île pendant plus de deux semaines. Ces mouvements faisaient écho à ceux qui avaient démarré un peu plus tôt fin novembre, en Guadeloupe. La principale raison évoquée dans les médias était le l’obligation du pass sanitaire et le vaccin. Mais si nous regardons de plus près, nous pouvons nous rendre compte que les raisons de la colère en Martinique étaient multiples. Parmi elles, je choisis aujourd’hui le combat contre la vie chère sur cette île. Certains disent que c’est de l’exagération, des mensonges, un mythe… Pour démêler le vrai du faux nous avons mené notre enquête.

La vie chère en Martinique, mythe ou réalité ?

Pour ce faire, début décembre, nous nous sommes rendus sur le site E Leclerc Drive. Ce site permet de commander des achats puis d’aller les chercher par un système de drive, ou de se les faire livrer. Nous avons tout d’abord choisi une commune en Martinique sur laquelle est installée cette enseigne, Le Lamentin, puis une ville en France hexagonale, Bordeaux.

Nous avons constitué des paniers de produits, assez complets et identiques, de consommation de première nécessité (farine, huile, yaourts, …) et d’usage courant (papier toilette, produits ménagers, …). Ils ont chacun été fait sur les plateformes en ligne en lien avec les magasins de Bordeaux et du Lamentin. Les produits sont quasiment tous les mêmes, ce sont des produits « Marque Repère », donc des produits distribués par Leclerc. Nous pouvons voir ci-dessous le total des deux paniers :

Total – panier Bordeaux – Chartrons E Leclerc DRIVE

Total – panier Le Lamentin (ville en Martinique) E Leclerc DRIVE

En comparant les paniers, nous remarquons que celui fait en Martinique est 54% plus cher.

Pour compléter l’expérience, nous avons rempli nos paniers virtuels avec des produits identiques de grandes marques (Panzani, Nesquik, Lindt…).

Total – panier Bordeaux – Chartrons E Leclerc DRIVE – produits de marques

Total – panier Le Lamentin E Leclerc DRIVE – produits de marques

En Martinique, les produits de grande marque sont en moyenne 75% plus chers et certains dépassent largement le double.
Les détails des paniers sont indiqués en bas de l’article. Nous vous invitons à faire la même expérience chez vous afin de comparer par vous même.

Les résultats de notre petite enquête de terrain montrent clairement que les achats de produits en supermarché sont bien plus chers en Martinique qu’en France hexagonale. Les différents posts qui ont tourné en novembre et décembre 2021 sur les réseaux sociaux disaient bien la vérité.

Mais alors, puisqu’il est si facile de le prouver, pourquoi cette situation perdure-t-elle et sur quelles bases s’est-elle construite ?

La Martinique est une île bien trop petite pour répondre en termes agricole et industriel à l’ensemble des besoins de la population. Les cultures de la canne à sucre pour la fabrication locale du rhum et de la banane-dessert pour l’export vers l’Union Européenne couvrent l’immense majorité des terres cultivables. Le secteur industriel regroupe quelques usines alimentaires (jus de fruits, confitures, brioches, …). Il est donc évident que tous les produits de première nécessité et d’usage courant, autres que ceux précités, sont importés. Sont incriminés les frais de transport (fret par bateau ou avion) et les frais d’approche (taxes, octroi de mer (1), dédouanement). Pour autant, cela n’explique qu’en partie les différences de prix. Une deuxième est nécessaire au regard de la structuration de l’économie ; elle peut être résumée par la phrase suivante extraite d’un article paru sur le site de Martinique la 1ère : “l’univers de la distribution est un système compliqué où les acteurs peuvent avoir plusieurs casquettes et être tant importateur que commerçant distributeur”. Les grandes sociétés de distribution en Martinique se sont déployées sous forme tentaculaire et de quasi monopole. Il est donc courant que les grands groupes martiniquais possèdent une société de fret et plusieurs entreprises de distribution. Ils sont en capacité de gérer l’ensemble de l’acheminement du produit à sa vente sans rencontrer de concurrence ou sans mettre en concurrence. Les prix au rayon dépendent donc en très grande partie des politiques tarifaires menées de bout en bout au sein d’un même groupe. C’est notamment pour cette raison que Robert PARFAIT, PDG du Groupe PARFAIT pouvait affirmer : “C’est nous qui avons cherché à prendre l’enseigne Leclerc. Cela parce que le groupe Leclerc a une réputation de se battre pour la baisse des prix et nous nous cherchons à faire baisser les prix en Martinique. Nous n’allons pas réussir à les casser du jour au lendemain parce qu’il y a plusieurs causes au niveau des prix aux Antilles.”

Cette bonne volonté affichée par le secteur privé n’est pas réellement mise en œuvre dans les faits et dépend essentiellement de son bon vouloir. C’est pour cette raison que des mesures gouvernementales étaient réclamées au Préfet de Martinique, en décembre 2021 comme en février-mars 2009. Le plafonnement des prix des produits de première nécessité sous la forme des prix “Baissé-Bas” en 2009 ou du nouveau “Bouclier Qualité Prix” mis en place depuis décembre 2021 est une réponse immédiate à la problématique soulevée et produit des effets assez rapidement. Pour autant, il n’impacte pas l’ensemble des produits de consommation et il reste toujours des différences de prix ahurissantes qui font de certains cookies de grandes marques, des produits de luxe en Martinique. De plus, la baisse notable après l’effet d’annonce de la mesure (très significative de 10% soit une diminution de 24 euros pour le chariot moyen d’un ménage en Martinique, selon les spécialistes de la question) ne perdure pas dans le temps.

Finalement, existent-ils des solutions durables ?

En 2019, le Préfet de Martinique, Franck Robine, avait annoncé que “ce nouveau bouclier a l’ambition de donner “une très large place” à la production locale”. L’objectif était de tenter de relancer les produits locaux et de redonner du pouvoir d’achat (2) aux consommateurs en Martinique.
Pour certains d’entre eux, les fonctionnaires titulaires de la fonction publique d’Etat (administrations, enseignants, …), Hospitalière (agents des hôpitaux, médecins, …) ou Territoriale (employés des communes ou de la CTM), perçoivent une majoration de traitement (3) de 40% comparée à celui des mêmes agents en France hexagonale. Ils ont ainsi un pouvoir d’achat bien supérieur à celui des autres martiniquais, et sont bien moins impactés par le coût de la “Vie chère”. Les salariés du secteur privé ou les contractuels de la fonction publique ont des salaires indexés sur le SMIC dont le montant est identique à celui décidé pour l’ensemble du territoire français. Depuis 2009, ils perçoivent une “prime de Vie chère”, obtenue lors des négociations de l’époque, qui reste insignifiante au regard de la réalité des prix.
L’augmentation du salaire pourrait être une solution mais elle devrait alors s’appliquer de manière identique à l’ensemble des actifs, en emploi et au chômage. Tous devraient bénéficier d’une majoration : les indemnités pour les chômeurs, les minima sociaux (RSA), …

Cette situation très inéquitable est d’autant moins supportable pour une partie de la population quand on sait que le taux de pauvreté en Martinique s’élève à 33% contre 14% en France hexagonale, que le taux de chômage est deux fois supérieur en Martinique, et que le taux de couverture du RSA est trois fois plus important en Martinique qu’en France entière (17,6% contre 5,8%). Ces chiffres publiés en 2020 par l’Insee expliquent le solde migratoire du territoire de -1,4 et que la Martinique soit la région de France qui perd le plus d’habitants tous les ans depuis de trop nombreuses années. Ce phénomène est dû au départ des jeunes pour trouver du travail et des conditions de vie décentes, et l’absence de renouvellement de population.
Les martiniquais restants sur leur île voient leurs conditions de vie se dégrader et leur pouvoir d’achat baisser sans que l’Etat ne mette en place des conditions favorables à la “continuité territoriale (4)” exigible dans le cadre d’une République.

Face aux prix très élevés de la vie en Martinique, les réponses de l’Etat restent jusqu’à présent plus conjoncturelles que structurelles ; elles ont donc peu de chance de perdurer. Compter sur le secteur privé reste illusoire, le libéralisme ne prônant pas ces modalités d’action. Par contre, les mesures du Plan France Relance (5) appliquées dans une île comme la Martinique pourraient permettre l’émergence de projets novateurs dans les secteurs de l’agro-alimentaire ou de l’agriculture par exemple, pour développer des réponses adaptées aux problématiques de “Vie chère”.

 

Le nouveau Bouclier qualité prix est arrivé pour “redonner du pouvoir d’ach (francetvinfo.fr)

L’enseigne Leclerc s’installe dans trois hypermarchés de Martinique et anno (francetvinfo.fr)

 

(1) Octroi de mer : Il s’agit d’une taxe spécifique aux Outre-mer, appliquée sur tous les produits et qui finance une grande partie du budget des communes. Son taux est voté par la Région (Collectivité Territoriale de Martinique). Ce n’est pas une taxe qu’on peut supprimer, et elle n’est ni déductible, ni remboursable, à l’inverse de la TVA. Elle est donc incluse dans le prix d’achat.

(2) Pouvoir d’achat : quantité de biens et de services qu’un revenu permet d’acheter. Le pouvoir d’achat dépend alors du niveau du revenu et du niveau des prix.

(3) Majoration de traitement : augmentation du salaire

(4) Continuité territoriale : principe de service public qui se donne pour objectif de renforcer la cohésion entre différents territoires d’un même État, en compensant les handicaps liés à leur éloignement (ex : système d’aide ou de facilités fournies par l’État envers les citoyens ou les entités régionales concernées)

(5) Plan France Relance : permet d’accélérer les transformations écologique, industrielle et sociale du pays, propose des mesures concrètes à destination de tous : particuliers, entreprises et associations, collectivités ou administrations. Afin de relancer rapidement l’économie et d’obtenir des résultats en matière de décarbonation, de reconquête industrielle, de renforcement des compétences et des qualifications sur l’ensemble du territoire, un plan exceptionnel de 100 milliards d’euros est déployé par le Gouvernement autour de trois volets : la transition écologique, la compétitivité et la cohésion. Ce plan est soutenu financièrement à hauteur d’environ 40 milliards d’euros par l’Union européenne

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