Violences policières : Merci les caméras !

Violences policières : Merci les caméras !

Depuis le début du mois de novembre, un nouveau projet de loi est à l’étude à l’Assemblée Nationale : la loi « sécurité globale ». L’article 24, qui interdit la diffusion d’images dans le but de nuire aux membres des forces de l’ordre, fait polémique. Le déferlement des violences policières des derniers jours n’arrange rien…Michel Zecler, Rémy Buisine, Ameer al-Halbi et les exilés afghans remercient les caméras. Retour sur ces affrontements : policiers contre civils.

Sécurité globale : le point de départ

Les propos de l’article sont parfaitement clairs : « est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser […] l’image du visage […] d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police » cela dans le but de le nuire, de porter atteinte à « son intégrité physique ou psychique ». Ce texte a largement été controversé par l’opposition, les journalistes et les mouvements défenseurs des droits de l’Homme. Les diffuseurs de l’information se voient bafouer leur liberté de presse et leur liberté d’informer qui sont fondamentales pour leur métier. Ce projet de loi prévoit un renforcement non négligeable des pouvoirs de la police municipale, militaire et autres agents de sécurité, cela au détriment de la liberté d’expression … Les dérapages des forces de l’ordre et autres violences policières doivent être dénoncés.

La nouvelle proposition de loi sera jugée « nuisible » à ce contrôle par les opposants. Le journaliste David Dufresne tweet « la police, ce n’est pas une milice. La police, elle doit être identifiable. Elle doit rendre des comptes ». Il est impératif pour les Français de faire « confiance » aux personnes qui les protègent et les sécurisent affirme Claire Hédon, défenseure des droits de l’Homme. D’après elle, voter un tel texte « n’est pas acceptable ». L’indignation face à l’article 24 est très forte du côté des journalistes qui ont manifesté partout en France. Interpellations, ambiance tendue, slogans trashs étaient présents et ce bien avant les multiples violences policières que nous connaissons aujourd’hui… En réponse à la polémique, le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a proposé un amendement gouvernemental de l’article. Lors d’une interview pour BFMTV, Claire Hédon a reconnu une « avancée du gouvernement ».

Le 19 novembre, un communiqué de presse précisant les modifications effectuées est diffusé. Après concertation des ministres, Jean Castex, Premier ministre, assure que la mention « manifestement » sera ajoutée pour préciser les termes « intention de nuire » ainsi que la mention « sans préjudice du droit d’informer » destinée aux journalistes. Dans ce communiqué, il « garantit le respect des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression ». En aucun cas, la proposition de loi est un « obstacle à la liberté d’informer ». L’amendement validé, la loi est votée vendredi 20 novembre 2020 et adoptée en première lecture mardi 24 novembre avec 388 voix pour et 104 contre.

Sombre semaine

Samedi 21 novembre. Au lendemain du vote pour la loi sécurité globale, Michel Zecler est violemment interpellé par quatre membres des forces de l’ordre. Ce producteur de musique noir rentrait chez lui et ne portait pas son masque. A l’arrivée d’une voiture de police, il décide de se réfugier dans son studio de musique et sera suivi par les policiers. Trois hommes blancs se sont défoulés sur lui et le rouèrent de coups volontaires. La victime ne s’est pas défendue et a tenté de se protéger comme elle le pouvait. La caméra de vidéosurveillance était allumée et a pu rendre compte de la violence des faits…

Dans un premier temps, c’est l’homme de 41 ans qui a été mis en garde à vue pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion ». Le parquet de Paris a finalement classé cette enquête de non-sens au regard des images diffusées sur les réseaux sociaux. Quant aux policiers filmés à leur insu, ils ont justifié leurs coups par cette fameuse rébellion de la victime. Ce faux compte rendu public leur sera reproché au moment du procès. Dimanche 29 novembre, les quatre « agresseurs » sont passés devant la justice et risquent 15 ans de prison et 225 000€ d’amende.

Dénouement de l’affaire. Les membres des forces de l’ordre reconnaissent les faits mais démentent tout caractère raciste. Ils déclarent « avoir paniqué ». Trois d’entre eux sont placés en détention provisoire et le quatrième qui aurait lancé une grenade lacrymogène est placé sous contrôle judiciaire. L’issue donnée par la justice déplaît fortement, jugée pas assez dure pour la gravité des faits. Six jours après le tabassage de Michel Zecler, le Président de la République a publié sur son compte Facebook son indignation face à cette « agression inacceptable ». Ces « images nous font honte ».

Emmanuel Macron s’en remet au Ministre de l’Intérieur et lui demande de prendre des sanctions à la hauteur des actes des policiers. « Une police exemplaire avec les Français et des Français exemplaires avec les forces de l’ordre ».

Lundi 23 novembre. La Préfecture de police a démantelé un camp d’exilés, à majorité afghan, qui s’était installé Place de la République à Paris. Moins d’une heure après la construction de ce baraquement de tentes bleues, les forces de l’ordre sont arrivées matraques en main pour opérer une « chasse à l’homme » écrit Le Monde. Plus de 500 personnes ont été expulsées de force. Cette destruction sans précédent s’est faite de façon très virulente et a provoqué une déferlante de polémiques tant du côté des politiques que de la population française.

Le son des cris, des tirs de gaz à lacrymogène et des grenades pour disperser la foule ont choqué la France entière. Des images de violences policières ont de nouveau été relayées sur les réseaux sociaux. Le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin déclare des actions « choquantes ». Il tweet : « Le rapport du Préfet de police sur l’évacuation du campement illicite place de la République m’a été remis ce matin. Celui-ci m’a proposé la saisie de l’IGPN sur plusieurs faits inacceptables. J’ai demandé à l’IGPN de remettre ses conclusions sous 48h et les rendrai publiques ».

De nombreuses violences non expliquées ont été menées par les forces de l’ordre. Une vidéo où un policier fait un croche pied sur un migrant qui tente d’échapper à l’embuscade par exemple. Rémy Buisine, journaliste pour Brut, s’est, lui aussi, fait attaquer par les policiers. Il déclare que « c’est la troisième fois que le même policier » s’en prend à lui dans la soirée. « Pris par la gorge la première fois, violemment projeté la seconde fois…et ça…c’est vraiment dur ce soir ».

Sur le plateau d’Europe 1, les journalistes dénoncent les dérapages trop fréquents des hommes qui sont censés protéger les français…

Samedi 28 novembre. Entre 130 000 et 500 000 personnes ont défilé pour manifester contre la loi sécurité globale et son article 24 mais aussi contre les violences policières. Ces mouvements de protestations se sont vite avérés très musclés. Les civils s’en sont pris aux policiers et inversement. Gérald Darmanin déplore « 98 blessées parmi les policiers et les gendarmes ». En ce qui concerne le bilan des manifestants, il n’a pas été communiqué. Les manifestants criaient haut et fort des slogans poignants : « Filmer c’est protéger ! », « Non à la dérive autoritaire, Darmanin démission ! »

Ameer al-Halbi a subi, lui aussi, une attaque policière alors qu’il faisait son travail. 24 ans, syrien et photographe pour l’AFP et Polka, il couvrait la manifestation à Paris lorsqu’il a gravement été blessé au visage par des policiers. Il déclare qu’il était simplement en train de prendre « des photos des policiers en train de frapper quelqu’un ». Son ami et collaborateur Gabrielle Cézard confie qu’« il était psychologiquement très touché, il a pleuré et a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi c’était mal de faire des photos ». Une enquête a été ouverte.

Emmanuel Macron demande au gouvernement de « lui faire rapidement des propositions » pour « lutter plus efficacement contre toutes les discriminations ». Le chef de l’Etat veut « réaffirmer le lien de confiance » entre les français et les forces de l’ordre.

Recul stratégique

Depuis maintenant un mois, le gouvernement est mis à mal, pour cause, son projet de loi sécurité globale favorisant nettement les membres des forces de l’ordre. Après de nombreuses violences policières, un acharnement sur les réseaux sociaux, et un torrent de manifestations, Emmanuel Macron a remis les choses au clair. Lundi 30 novembre, le chef de l’Etat a confirmé la réécriture totale de l’article 24 annoncée par la majorité. Elle déclare que « ce n’est ni un retrait ni une suspension mais une réécriture totale du texte ». Le retrait demandé par certains députés n’est pas encore d’actualité.

Ce recul de la majorité est stratégique, il a pour but de « lever les incompréhensions et les doutes » diront les membres de la République en marche. Emmanuel Macron met en porte à faux le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en lui reprochant d’avoir dû prendre une décision aussi précipitamment. L’homme est au cœur de nombreuses critiques et divise la majorité. Malgré ces moments tumultueux, le Ministre de l’Intérieur garde la tête froide et poursuit son travail. Il va, par exemple, défendre et soutenir l’IGPN jugée trop « laxiste » perdant sa crédibilité.

Christophe Castaner, député du parti politique En Marche, reconnaît qu’au vu de la réaction des citoyens français à l’annonce de cette loi sécurité globale, le gouvernement doit s’interroger. L’exécutif est pris entre deux versants : la pression de la forte mobilisation et les défenseurs des forces de l’ordre. La loi sécurité globale devient le parfait symbole d’une crise politique. L’Etat doit revoir sa copie pour regagner la confiance des français. Jamais le gouvernement n’avait porté atteinte à ce pilier de la démocratie : la liberté.

La loi sécurité globale et son article 24, est une des lois les plus controversées de l’histoire. Elle tend à vouloir modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881. L’Elysée promet une meilleure articulation de son texte tout en « gardant le double objectif de protéger les forces de l’ordre et garantir la liberté de la presse ».

La loi est suspendue jusqu’à sa réécriture.

Camille Juanicotena

Crédits photos : Pixabay

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