Santé mentale et Covid-19 : la parole aux étudiants

« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 » déclarait le Président le 14 octobre dernier. Si beaucoup gardent de leurs jeunes années un souvenir ému, que va retenir cette « génération Covid », épuisée d’une épreuve dont on ne voit pas le bout ? Si nous sommes tous affectés par le coronavirus, il semblerait que les étudiants de l’enseignement supérieur aient été particulièrement négligés jusqu’à présent. Cela fait désormais 10 mois que les étudiants se tiennent loin des bancs de la fac et c’est toujours le flou total quant aux dates de reprise. Le premier ministre n’a pas dit un mot sur l’enseignement supérieur lors de sa conférence du 7 janvier. Contrairement à l’économie, aux entreprises, l’enseignement supérieur n’a pas reçu de réel soutien financier, ce qui met à mal l’adaptation des structures à la crise. 

 

Avec ce deuxième confinement, on assiste à une nette augmentation de la détresse psychologique chez les jeunes qui sont nombreux à se dire « oubliés » ou « perdus », notamment chez les plus précaires. L’amenuisement des interactions sociales, l’inquiétude face à l’avenir, le stress lié aux études à distance, la précarité accentuée par la crise sanitaire, le sentiment d’inutilité et de ne pas être entendu, c’est de ça dont on va parler.
Je suis allé vous rencontrer.

 

Détresse psychologique et isolement 

Avant la Covid, la dépression concernait déjà 8% des adolescents selon une étude de l’OMS (2014) et était en constante augmentation (18% de plus entre 2005 et 2015). Pendant le premier confinement, un étudiant sur deux a dit souffrir d’isolement, et près d’un étudiant sur trois (31%) a présenté des signes de détresse psychologique, selon une étude de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE). 23 % d’entre eux disent avoir eu des pensées suicidaires durant cette période. La dépression était déjà la première maladie chez les jeunes : le deuxième confinement enfonce le clou.
« Nous, étudiants, sommes les seuls avec les personnes âgées à n’avoir aucune raison de sortir de chez nous. Je vois mes parents aller encore au travail, mes cousins se rendre au lycée, et moi je me sens super isolée » estime Marion, 24 ans. 

« Nous sommes fatigués d’être enfermés entre quatre murs » renchérit Elena, 20 ans.

« J’ai parfois l’impression, qu’au nom du Covid, tout est justifiable, tout est légitime : on s’arrêterait de manger si c’était pour la Covid, pour pas paraître égoïste » soumet Mathieu, 22 ans, avant d’ajouter « les décideurs manquent de recul, on ne peut pas mettre des tours de vis à l’infini, nous sommes des hommes, pas des animaux en cage. » Il me précise qu’être unis dans cette épreuve et respecter les mesures sanitaires tombe sous le sens, seulement, près d’un an après le début des restrictions, « on nous demande encore de faire des efforts, au détriment total de la santé mentale ».

Anxiété, altération du sommeil, déprime, isolement, idées noires fragilisent ainsi une population déjà psychiquement vulnérable, sachant que le ¾ des troubles psychologiques se déclarent pour la première fois avant 24 ans. Christophe Tzourio, professeur d’épidémiologie à l’Université de Bordeaux, s’indigne contre « cette idée très fausse et très naïve selon laquelle à 20 ans, on n’a pas de problème, puisque c’est le meilleur âge de la vie ». 

En France, les problèmes de santé mentale ont toujours été un sujet tabou. Très souvent il y a un déni, un rejet qui peut s’expliquer chez les jeunes par le « phénomène réseaux sociaux » : « montrer notre meilleure vie sur Insta, on sait faire, mais lorsqu’on est confronté à une réalité moins rose, c’est plus facile de la fuir » souligne Elena. En temps normal déjà, seul 1/4 des jeunes présentant les signes d’un épisode dépressif déclarent avoir consulté un professionnel de santé mentale dans l’année. « Il va falloir être très vigilant. Selon nos premiers chiffres, la catégorie des 16-29 ans est celle pour qui le score de bien-être a le plus nettement baissé pendant le confinement », avance Nicolas Franck, professeur de psychiatrie à l’université Lyon-I. Selon les résultats de l’enquête « Confins », les étudiants sont en effet deux fois plus sujets aux syndromes dépressifs que les non-étudiants. Sans compter que la France accusait déjà avant le confinement d’un gros retard en matière de prise en charge de la santé mentale étudiante : selon les recommandations internationales, il faudrait 1 psychologue pour 1000 à 1500 étudiants, tandis que la France en compte seulement 1 pour 30 000 étudiants.

 

Les limites de l’enseignement à distance

L’enseignement à distance, qui perdure, est globalement vécu comme une situation pesante. Avec les sources de distraction permanentes, beaucoup d’étudiants admettent avoir du mal à suivre les cours à distance. « Quand le prof parle, j’éteins ma caméra et je fais ma vaisselle » avoue Océane. Les problèmes techniques et de connexion potentiels, la non maîtrise des outils, la possibilité d’éteindre sa caméra sont autant d’éléments qui mettent à mal la concentration et l’attention. 

Il en va de même pour la motivation, difficile à préserver seul derrière un écran : « le présentiel nous met dans un contexte de travail, contrairement aux visios où il n’y a pas de cadre » souligne Virgile, 22 ans. De plus, confinement rime avec excès d’écrans, dont la consommation serait inversement proportionnelle au bien-être, selon plusieurs études. Certains enchaînent jusqu’à 8 heures de « visio » par jour ce qui entraîne une fatigue oculaire et un brouillard mental (appelé « zoom fatigue »). En effet, c’est la perte du langage corporel qui met nos sens en alerte et nous fatigue plus vite.

 « Les cours sont tellement déshumanisés, j’ai perdu le fil », confie Solenn. 

D’autre part, selon une enquête de l’observatoire de la vie étudiante, plus de 40% n’ont pas d’endroit isolé ou calme pour se concentrer, et 38% ont des problèmes de connexion internet.

 

Décrochage scolaire décuplé

Ce deuxième confinement est pour beaucoup vécu comme une punition, une injustice et entraîne un découragement, une lassitude qui démultiplient les risques de décrochage scolaire. Malgré la volonté, à force de déconcentration, certains patinent dans un cercle vicieux improductif et dévalorisant : « quand j’essaie de travailler j’ai du mal à rester concentrée et motivée, et quand je ne travaille pas et que je prends du temps pour moi, je culpabilise de ne pas travailler » déplore Carla, 21 ans. Pas facile non plus pour les professeurs qui doivent redoubler d’inventivité pour capter l’attention de petites cases noires, et ont souvent l’impression de parler seuls. Yann Bisiou, professeur à l’Université de Montpellier constate ne voir plus que 60 étudiants connectés dans son cours de licence, contre 270 en début d’année. Les cours asynchrones enregistrés et consultables à tout moment s’avèrent être une belle alternative, car ils permettent à l’élève d’aller à son rythme (il peut s’agir de cours en direct rediffusés par exemple).

Cette lassitude est d’autant plus préoccupante à un âge où l’on est en pleine structuration sociale et intellectuelle, où l’on doit se positionner pour son avenir. Entre incertitudes et manque de perspectives, le stress généré est énorme. Le président de la République avait même avancé être conscient des « sacrifices terribles » de la jeunesse.   

« Les jeunes sont la catégorie la plus impactée depuis la guerre d’Algérie », estime un conseiller de l’Elysée.

Un retour en présentiel en classe de 10 étudiants pour les plus fragiles psychologiquement ou scolairement a été proposé par le ministère de l’éducation, mais s’avère en réalité bien complexe à mettre en place.

 

La Rave Party de Lieuron, l’expression d’un malaise

La très médiatisée rave party de Lieuron du nouvel an qui a regroupé 2500 personnes est un cri du cœur, un « geste politique » et une « ardeur de vivre », plus qu’un acte délibérément inconscient. Ce sont les organisateurs, de 21 ans, qui tiennent ses propos. Écroués, ils encourent la lourde peine de 10 ans de prison tandis qu’au même moment un homme de 21 ans écope de seulement 5 ans avec sursis pour le viol d’une fillette. Ce qui est pointé du doigt ici, ce sont les incohérences dans la façon dont est gérée la crise du Covid-19 : un bain de foule organisé pour une dédicace avec Miss France, des milliers de spectateurs au Puy du Fou, une messe de Noël à Levallois Perret où près de 1500 personnes se sont côtoyées en lieu clos… Tout cela n’a semblé poser aucun problème sanitaire pour les autorités. 

« Lorsque qu’il y a un intérêt financier, l’état est prêt à faire des compromis. Lorsqu’on parle de santé mentale, il n’y a plus personne, c’est le malaise » dénonce Romain, 23 ans, avant d’ajouter : « cela fait 1 an qu’il ne s’agit plus de vivre, mais de survivre, et cela ne peut pas durer éternellement ». En effet, considérer drastiquement toutes activités nécessaires à une santé mentale saine comme non essentielles, c’est nier et refouler la souffrance psychologique elle-même. « Comme la lumière des étoiles, l’étendue des dommages nous arrivera avec un temps de retard. » écrit Christophe Ferveur, psychologue clinicien. Le président de l’Université de Strasbourg va même plus loin : « la détresse morale [des étudiants, mais pas que] tuera plus, à terme, que le virus ». Romain conclut : « ce que je réclame, c’est plus d’empathie et de considération de la part du gouvernement ». 

Où se situe donc la limite, que sommes-nous encore prêts à sacrifier, à accepter, alors même que le gouvernement a de son côté échoué à fournir rapidement un stock de masques à la population et au personnel médical, a échoué à fournir une politique de dépistage rapide, et échoue encore à déployer rapidement le vaccin ?

Un appel à la grève a été lancé pour le 26 janvier, notamment pour demander la réouverture des universités. Pour les étudiants en détresse psychologique, il existe la permanence d’écoute gratuite NightLine. Ne fermons pas les yeux, n’ayez pas honte !

2021 a commencé, et aura beaucoup de défis à relever. En attendant, prenez soin de vous (et des autres) !

 

Maxime Mathonat

 

Crédit illustration : Anna Wanda Gogusey

Certains témoignages ont été recueillis par le journal Le Monde.

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Maxime Mathonat

Ecolo et anticonformiste dans l'âme, je suis passionné de rédaction, d'art et de psychologie. Etudiant en Info-Com, je souhaite devenir attaché de presse.