Quand la Chine apprivoise son Dragon

Certains conflits sont éphémères, d’autres semblent éternels. Celui entre la Chine et Taïwan, longtemps considéré comme le parfait point d’équilibre entre ces deux concepts, glisse dangereusement vers l’immuabilité. Ou vers la guerre. Le récent coup de force de Pékin dans le ciel asiatique donne désormais une dimension internationale au divorce sino-taïwanais, impliquant les autres grandes puissances. Entre réunification, volonté d’indépendance, et menace pour la paix dans le monde, tentons de comprendre l’un des enjeux géopolitiques des dix prochaines années.

 

Taïwan, l’île aux mille destins

Le dragon oriental est long, sage, et mythique. Symbole de la nature, il peut parfois se montrer robuste quand il s’agit de se battre pour son indépendance. Certains diront que si Taïwan récupère le surnom de Dragon Asiatique à la fin du 20e siècle, c’est grâce à sa formidable croissance industrielle, au même titre qu’Hong Kong, la Corée du Sud et Singapour. Pourtant, cette île a tout pour correspondre aux adjectifs précités. Comme la créature mythologique, elle attire les regards, et suscite les convoitises.

L’histoire de la colonisation est indissociable de celle de Taïwan. Terre vertigineuse et indomptable, son premier contact avec les marins portugais, qui lui donneront le nom de « Formose », date du 16e siècle. Les Néerlandais, eux, tenteront leur chance au 17e, en vain. Très vite, Taïwan connaît un essor impressionnant et éveille la curiosité de la grande puissance orientale : près d’un million de Chinois viennent s’y installer durant le siècle suivant. Devenue l’une de ses provinces en 1885, la joie n’est que passagère pour l’Empire Céleste : après la guerre sino-japonaise, la Chine se voit dans l’obligation de céder Taïwan au Japon. Un impressionnant changement de culture se produit alors, parsemé de ségrégation et d’industrialisation.

L’année 1945 marque un tournant dans le destin de « l’île merveilleuse ». L’ONU choisit en effet de confier sa stabilisation à la République de Chine. Seulement quatre ans après, la fin de la guerre civile sonne le glas du parti Kuomintang sur le continent. Les troupes décident alors de fuir la République populaire et de s’exiler sur Taïwan. Après vingt ans d’autoritarisme et d’état d’urgence, l’île entame sa démocratisation au début des années 1970. Elle rejoint ainsi le groupe des « pays développés », des élections sont mises en place, et une nouvelle question tend à unifier tous les partis de la Cité-Etat : celle de l’indépendance.

 

Escalade des tensions et coup de force chinois

En 2021, les règles du jeu ont changé. Entre peur et fascination, la Chine s’impose désormais comme une superpuissance militaire et économique. Mais aussi comme un ogre gourmand. Depuis son ascension au pouvoir en 2012, Xi Jinping à l’ambition d’unifier Taïwan à la mère-patrie chinoise, et de continuer le processus d’assimilation des anciennes colonies. Hong Kong en a déjà fait les frais en 1997, et Macao en 1999. Toutefois, le statut du dragon taïwanais est singulier : si Pékin estime que le gouvernement élu sur l’île est un régime séparatiste, la Présidente Tsai Ing-wen considère que sa Cité-Etat est déjà souveraine et indépendante.

Mais alors voilà : consciente des atouts industriels et culturels de Taïwan, la Chine a récemment décidé de passer à l’action. Entre le 1er et le 4 octobre, ce n’est pas moins de 150 avions qui ont traversé la zone d’identification de défense aérienne de l’île. La pression est à son comble. « La situation actuelle est la plus sombre depuis 40 ans » a déclaré Chiu Kuo-Cheng, ministre taïwanais de la Défense, avant de rajouter que « la Chine serait “complètement” en mesure de mener une invasion d’ici 2025 ». Dans ce contexte, il s’agit désormais d’éviter le moindre incident afin de ne pas embraser la scène internationale.

Si le dragon venait à être mis en cage, alors la démocratie serait muselée avec lui, au profit de l’autoritarisme chinois.

 

“En 2021, l’expansion d’un pays prime toujours sur la sérénité du monde”

Le nouveau Berlin ?

La paix ne tient qu’à un fil. Une simple ficelle qui se raidit lorsque les tensions augmentent, et qui s’assouplit lorsqu’elles s’apaisent. Durant la Guerre Froide, c’était lors des crises de Berlin et de Cuba que le fil fut le plus tendu. Aujourd’hui, c’est à Taïwan.

Ces trois lieux ont en commun d’êtres des points stratégiques clés pour les superpuissances. Face à l’ogre chinois, les Etats-Unis perdent de leur hégémonie depuis de trop nombreuses années déjà. Même s’il n’a plus l’obligation de défendre l’ex-Formose depuis 1949, le pays de l’Oncle Sam sait qu’une invasion de Pékin réduirait considérablement son influence dans la zone Indo-Pacifique. Discours sur le danger que représente la Chine, débâcle de Kaboul, nécessité de donner au dragon les moyens de se défendre en cas d’attaque : tout porte à croire que Washington va devoir rentrer dans la danse. En cas de conflit direct, ce sont deux des trois plus grandes puissances militaires mondiales qui viendraient à s’affronter. Les alliances internationales seraient toutes remises en question.

Le constat est désolant : en 2021, l’expansion d’une nation prime toujours sur la sérénité du monde. Pourtant, à trop vouloir s’étendre, le risque est d’imploser. Ou de rompre le fil de la paix. Et au cas où les Hommes l’auraient oublié, personne n’est immortel. Personne, sauf le dragon.

 

Corentin Madères

Crédits : Sipa Presse

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Corentin Madères

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