Polanski, j’accuse L’homme, ou L’artiste ?

« J’accuse », est le titre du nouveau film de Roman Polanski et le verbe qui a relancé les suspicions, ainsi que les interrogations sur les crimes sexuels du très connu réalisateur. Boycott du film et protestations devant les salles de cinéma, ces nouvelles accusations à l’encontre du cinéaste ont remis en lumière un débat houleux : faut-il différencier l’homme de l’artiste ?

Crimes de l’homme

Ce n’est pas la première fois que Polanski est sous le feu des projecteurs pour de mauvaise raison. La première accusation sexuelle dont il été la cible date de 1977. Une mineure de 13 ans appelée Samantha Geimer le fait juger pour six chefs d’accusation : viol sur mineur, sodomie, fourniture d’une substance prohibée à une mineure, actes licencieux et débauche, relations sexuelles illicites et perversion. Polanski séjourna 42 jours en prison, moins que la peine initiale de 90 jours prévue suite à un accord passé avec la famille de la victime, qui abandonnait 5 charges d’accusations tandis que Polanski plaidait coupable pour viol sur mineur. La peine avait été purgée, les crimes reconnus, mais en 1978, le juge en charge de l’affaire souhaite le condamner à une nouvelle peine, d’une durée d’emprisonnement indéterminée. Aux Etats-Unis, ce type de peine peut s’élever jusqu’à 50 ans. Craignant pour sa liberté, Polanski se rend sans attendre en France, pays refusant l’extradition de ses citoyens et dont il a la nationalité car il y est né. Il est depuis considéré par Interpol comme un fugitif, ne pouvant circuler librement qu’entre la France, la Suisse et la Pologne.

Après cette affaire brûlante, pas moins de 11 autres accusations d’agressions sexuelles, dont la plupart sur mineure, sont révélées au public par des victimes potentielles de Polanski. La seule ayant débouché sur une condamnation reste celle de Samantha Geimer, les autres ayant été contestées fermement par Polanski et classées sans suite en majorité.

Le réalisateur pensait sans doute en avoir fini avec ce que ses avocats considéraient comme une « chasse à l’homme ». Mais peu de temps avant la sortie de son dernier film : « J’accuse », une photographe française du nom de Valentine Monnier l’accuse à son tour de l’avoir violé dans son chalet situé en Suisse en 1975. Plus de 44 ans après les faits, elle explique avoir voulu témoigner à cause du sujet de son nouveau film. En effet l’histoire conte l’un des scandales politiques les plus connus de France, l’affaire Dreyfus, du nom de l’officier français et juif condamné injustement pour trahison. La photographe qui l’accuse et certaines associations féministes dénoncent une instrumentalisation de cette affaire, Polanski ayant déclaré lors de la projection à la Mostra de Venise, qu’il y voyait un parallèle avec sa situation. Le réalisateur se disant persécuté et harcelé se compare donc à un homme jadis englué dans nombre d’accusations et finalement reconnu innocent.

 Œuvre de l’artiste

« J’accuse », sorti le 13 novembre 2019, est déjà présenté comme l’un des meilleurs démarrages de la carrière de Polanski, avec pas moins de 500 000 spectateurs pour sa première semaine en salle, malgré la tourmente médiatique entourant sa sortie. Le succès du film, les hashtags sur les réseaux sociaux appelant au boycott, et certains cinémas ayant décidé de le déprogrammer montrent la dualité au sein du public français et du milieu du cinéma.

 

Si l’on parle du film objectivement, il a déjà conquis le jury de la Mostra de Venise, qui lui a décerné le Lion d’argent, l’une des plus prestigieuses récompenses dans le monde du cinéma. L’affluence en salle confirme en quelque sorte l’attribution de cette distinction, le film étant salué à la fois par les spectateurs et la presse française, qui souligne l’excellente interprétation de Jean Dujardin en Georges Picquart (chef du service de renseignement militaire à l’époque).

Mais voilà, bien que grandiose d’un point de vue cinématographique, le film gêne. Les acteurs principaux, Jean Dujardin, Louis Garrel et Emmanuelle Seigner ont d’ailleurs renoncé à honorer les interviews prévues pour la promotion du film. Les spectateurs qui sont allés voir le film ont des raisons de défendre leur choix. C’est notamment le cas de Pierre, spectateur interrogé qui a été voir le film pour son contenu, il le considère comme : « très normal, très académique » en parlant de son sujet et sans vraiment prendre en compte la polémique. Il lui semble d’ailleurs que ceux l’ayant vu n’ont pas prêté attention à l’homme derrière la caméra mais au contenu du film et à ce qu’il pouvait leur apporter avec un point de vue historique différent de ceux déjà connus. D’autres avancent des arguments discutables et disent être allés voir le film d’abord pour Polanski, affirmant même que tant qu’il n’avait pas été condamné cela ne servait à rien de s’emporter. 

Les acteurs se revendiquant comme anti-Polanski, qui lui, les voit quelque peu comme les anti-dreyfusards de son film, parmi lesquels plusieurs groupes féministes, dénoncent la complicité du public, soutien injuste à un violeur. Cet amalgame de mauvais goût pour certains spectateurs témoigne de la difficulté d’interprétation autour de la venue du public dans les salles. Tous n’étant pas allés voir le film pour les mêmes raisons. Alors soutien de Polanski, de la liberté d’expression, du viol, du patriarcat, du cinéma, ou de l’Histoire de France ? Les opinions divergent sur une masse de spectateurs très hétéroclites.

Si Polanski pense qu’il a le devoir de créer, beaucoup pensent aussi qu’il a le devoir de payer pour son crime de 1977 dont il a été reconnu coupable, puis condamné, et qui fait aujourd’hui de lui un rescapé de la justice américaine encore sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Mais sans doute espère-t-il un dénouement semblable à « J’accuse ».

Quoi qu’il en soit, le débat de la différenciation entre l’homme et l’artiste est bien loin d’être clôt, mais s’il a créé la polémique, il peut être l’un des facteurs ayant entraîné le succès du film. En réponse aux groupes réclamant l’interdiction de sa sortie, les spectateurs poussés par une envie soudaine, ont sans doute eu envie d’aller en salle pour se faire leur propre opinion. Reste à savoir si le but était de juger l’œuvre magistrale d’un artiste, ou bien la création impie d’un criminel.

 

Crédits photos : AFP / AFP – Gaumont Légende Film

 

Joaquim Tissot

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