Pierre Gasly : libéré, délivré !

Le grand prix du Brésil, vingtième de la saison 2019 de Formule 1, aura donné lieu à un formidable spectacle. Au terme des 71 tours du circuit de Sao Paolo, c’est le néerlandais Max Verstappen qui s’est imposé. Au-delà du succès du pilote Red Bull, son troisième cette année, c’est la performance de son dauphin du jour qui mérite d’être mise en avant. Le français Pierre Gasly, au volant de sa modeste Toro Rosso, a réussi à accrocher une deuxième place inattendue, synonyme de premier podium en Formule 1 pour celui qui a connu une saison particulièrement mouvementée. Il devient ainsi le premier français à monter sur un podium en F1 depuis Romain Grosjean en 2015, et par la même occasion le plus jeune français de l’histoire de ce sport à terminer à l’une des trois premières places d’un grand prix. Retour sur cette course folle et sur la carrière du pilote âgé de 23 ans.

Le calme avant la tempête

Avant le 51e tour de ce grand prix du Brésil, rien n’annonçait que ce dernier allait rester dans les annales. La course se déroulait sans accident majeur, sans dépassement marquant, excepté celui de Lewis Hamilton sur Sébastian Vettel au premier virage pour la deuxième place. L’ordre des monoplaces de tête était établi depuis un long moment avec un Max Verstappen résistant sereinement à Hamilton pour la première place. Mais en Formule 1, un petit grain de sable dans une mécanique bien huilée peut suffire à faire basculer une course légèrement monotone à une course totalement explosive, où plus rien ne se passe comme prévu. Le gros grain de sable du jour est venu du moteur de la Mercedes de Valtteri Bottas, dont la surchauffe va entraîner l’abandon du finlandais, mais surtout l’intervention de la voiture de sécurité. Les cartes sont totalement redistribuées, la course relancée. Notre héros français du jour, jusqu’ici solide septième mais à un tour du leader, soit  la position maximale qu’il peut viser à la régulière avec sa monoplace, sait au fond de lui que désormais tout est possible. La voiture de sécurité lui a permis de rattraper son tour de retard et il figure dorénavant au contact des voitures de tête. Des erreurs des pilotes de devant sont envisageables et offriraient au natif de Rouen un premier podium en carrière. Les faits de course vont alors s’enchaîner durant la dizaine de tours qu’il reste à accomplir. Dans un premier temps, l’accrochage des deux coéquipiers chez Ferrari, Charles Leclerc et Sébastian Vettel, va lui permettre de passer quatrième. Les débris de l’accident sont sur la piste, obligeant les commissaires à faire appel pour la seconde fois à la voiture de sécurité. C’est un nouveau coup de pouce pour Pierre Gasly, d’autant plus que Lewis Hamilton, deuxième de la course, passe aux stands pour chausser des pneus neufs. Le français est troisième au moment de la reprise pour les deux derniers tours. Il va tenter le tout pour le tout, même s’il sait qu’Hamilton et sa Mercedes seront plus rapides et vont sûrement lui ravir la troisième place tant convoitée. Au redémarrage, Gasly cède malheureusement sa place au récent sextuple champion du monde anglais. Les rêves de podium s’envolent pour le français… mais resurgissent quelques virages plus tard grâce à une tentative de dépassement trop optimiste d’Hamilton sur le thaïlandais Alexander Albon. C’est l’accrochage entre les deux voitures. Il offre la deuxième place au pilote Toro Rosso, qui la conservera jusqu’au drapeau à damier, au terme d’un dernier tour héroïque durant lequel il a su résister au retour de Lewis Hamilton.

Un podium venu de loin, de très loin même, qui vient récompenser une saison particulièrement mouvementée pour le pilote français. A l’image de ce grand prix, il sera passé par toutes les émotions durant cette année 2019.

De promotion à rétrogradation, d’immense déception à grande satisfaction

« C’est juste le meilleur jour de ma vie », voici ce que déclarait Pierre Gasly à l’arrivée. Une émotion incroyable pour celui qui se souviendra pour toujours de ce 17 novembre 2019, jour durant lequel il aura atteint le paradis… après avoir connu l’enfer quelques mois plus tôt, l’enfer d’une ascension sûrement trop précoce. Dès les catégories inférieures, le pilote français dévoile un certain potentiel. En 2016, il gagne le championnat de GP2, qui est l’antichambre de la Formule 1. Il entre alors dans la filière de l’écurie Red Bull, une des trois écuries dominantes de la F1, et obtient un volant dans la discipline en fin de saison 2017 dans l’écurie Toro Rosso, écurie appartenant au même groupe que Red Bull. Pour ses premières courses, il se montre appliqué et gagne le droit de conduire la Toro Rosso pour l’intégralité de la saison 2018. Le pilote au numéro 10 roule dans une voiture peu compétitive qui ne lui permettra d’inscrire que 29 points sur l’ensemble de la saison, le couple se classant quinzième au championnat pilote. Mais contrairement à ce que les chiffres laissent penser, le rouennais réalise une belle saison, dominant outrageusement son coéquipier Brendon Hartley et réalisant quelques coups d’éclats remarqués comme une quatrième place au GP de Bahreïn. Ces belles performances lui ouvrent les portes de l’écurie Red Bull où il devra faire équipe pour 2019 avec Max Verstappen. Seulement les choses ne se passent pas comme prévu, l’aventure tournant vite au cauchemar. Alors qu’il a cette fois une monoplace capable de viser des podiums, le français souffre de la comparaison avec son équipier. Verstappen est systématiquement plus rapide que Gasly en qualification, et obtient de biens meilleurs résultats en course. Au bout de douze courses, le néerlandais compte deux victoires, cinq podiums et n’est jamais sorti du top 5, alors que le français compte comme meilleur résultat une quatrième place. Le pilote néerlandais est protégé par sa direction qui le met sur un piédestal, là où Gasly doit se débrouiller seul, avec une équipe pas vraiment ralliée à sa cause. Le bilan est hélas bien trop maigre pour les patrons de l’écurie autrichienne qui décident durant l’été de le rétrograder chez Toro Rosso, l’écurie de ses débuts, où le niveau de compétitivité est moindre mais l’environnement bien plus sain. C’est alors que nous voyons un Pierre Gasly souriant, sans complexe, qui, malgré l’immense coup de massue subit, s’est vite remis en selle et a retrouvé un sentiment indispensable pour être performant : le plaisir de piloter.

Il est bien difficile de rebondir après un échec, surtout dans un sport qui peut vous oublier aussi vite qu’il vous a adulé. C’est pourtant ce qu’a brillamment fait le français qui retrouve une seconde jeunesse dans une écurie où il n’a pas de pression, où il n’est pas asphyxié par un coéquipier de la trempe de Max Verstappen. Ce podium acquis sur le circuit d’Interlagos est peut-être annonciateur d’un avenir radieux pour le pilote Toro Rosso.

Un podium pour la mémoire d’Anthoine Hubert

Plus que son échec personnel dans l’écurie Red Bull, ce qui aura meurtri le pilote français cette année est assurément le décès de son ami d’enfance : Anthoine Hubert.

Anthoine était pilote en Formule 2 dans l’écurie Arden. Il rêvait d’accéder à la catégorie reine et de rejoindre Pierre dans ce qui est l’élite des pilotes du sport automobile. Il en avait certainement le potentiel. Mais malheureusement un terrible accident lors de la course de Formule 2 sur le circuit de Spa-Francorchamps en Belgique lui fit perdre la vie le 31 août dernier. Il n’avait que 22 ans et tout l’avenir devant lui, un avenir qui devait s’annoncer rose comme la voiture qu’il pilotait. Cet accident nous a rappelé à quel point le métier de pilote automobile est un métier à hauts risques où la mort guette celui qui monte dans le baquet. Ce drame a choqué l’ensemble des acteurs de la profession mais tout particulièrement Pierre Gasly. Les deux hommes se sont côtoyés dès leur plus jeune âge. Ils roulaient ensemble en karting dans les catégories de jeunes, ils étaient camarades de classe et même plus tard colocataires. La disparition de celui qui était surnommé Tonio a laissé un grand vide dans le coeur de Pierre, mais elle lui a également permis de décupler sa motivation en cette fin de saison, et tout particulièrement durant ces derniers tours. Ce drame du 31 août était le premier accident mortel depuis celui d’un autre pilote français, Jules Bianchi, lors du grand prix du Japon 2014. Décidément une malédiction s’abat sur les jeunes talents français du sport automobile. Alors ce podium, c’est celui de Pierre, mais aussi celui d’Anthoine ou de Jules, de jeunes prodiges partis bien trop tôt, bien avant d’avoir connu les joies d’un podium en F1.

Ce podium c’est également une véritable libération pour Pierre Gasly La libération pour un pilote qui a su se remettre en question au cours de ces derniers mois. Celle d’un français qui brise la malédiction des jeunes talents tricolores foudroyés en plein envol. Celle d’un homme qui, parce qu’il revient de l’enfer, peut savourer pleinement lorsqu’il est au paradis.

Mathias Babin

Crédits photo : Zak Mauger, LAT / Dan Istitene, Getty Images / AFP / AutoHebdo

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