L’incroyable ascension du rugby japonais

Depuis 1987 et la première coupe du monde de rugby, l’équipe japonaise a toujours été présente au rendez-vous des phases de poule. Pourtant, jusqu’en 2015, soit durant sept éditions, les nippons n’avaient gagné qu’une seule des vingt-quatre rencontres qu’ils ont disputé. Depuis quatre ans la statistique s’est inversée puisqu’ils n’ont perdu qu’un match sur les huit disputés. Cette année devant leur public, ils sont même parvenus à atteindre les quarts de finale de la compétition pour la première fois de leur histoire, en attendant peut être de faire mieux si ils gagnent ce dimanche leur rencontre contre les Sud-Africains. Gros plan sur la progression totalement inattendue de cette équipe japonaise au jeu particulièrement rafraichissant.

L’élément déclencheur : le « miracle de Brighton »

Nous sommes le 19 septembre 2015, le Community Stadium de Brighton en Angleterre accueille un match comptant pour la poule B de la coupe du monde entre l’Afrique du Sud, favori tout indiqué du groupe et prétendant au titre, et le Japon, équipe jusqu’alors plus connue dans l’histoire de la coupe du monde pour sa défaite monumentale en 1995 contre la Nouvelle-Zélande (145-17) que pour ses bons résultats. Il faudrait un miracle pour que les japonais s’imposent face aux champions du monde 2007. Mais cet après-midi de septembre, la planète rugby a appris à connaitre ceux que l’on surnomme les « Brave Blossoms » (les bourgeons braves) suite à un match exceptionnel. Les asiatiques résistent de manière héroïque aux assauts de leur adversaire et ouvrent même le score sur pénalité à la huitième minute. Vexés, les Sud-Africains accentuent la pression et prennent l’avantage à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, les japonais reviennent grâce à leur courage incroyable mais aussi à leur jeu basé sur le mouvement, qui surprend l’adversaire. L’issue du match sera exceptionnelle puisque, menés de trois points à quelques minutes du coup de sifflet final, les hommes du sélectionneur Eddie Jones (sélectionneur japonais) vont réussir à renverser la situation et à marquer, à la dernière minutée jeu, l’essai de la gagne grâce à Karne Hesketh suite à une formidable attaque, le tout sous les acclamations d’une foule acquise à leur cause. Score final 34-32, le miracle s’est finalement produit. Cet exploit, probablement le plus inattendu de l’histoire de la compétition fait basculer cette équipe japonaise dans une autre dimension : on le surnommera le « miracle de Brighton ».

Ils gagneront ensuite deux de leurs trois matchs suivants, mais se feront hélas éliminer de la compétition lors de la phase de poule alors qu’ils ont gagné trois de leur quatre matchs.

2019 : l’année de la confirmation

La grande échéance pour le rugby japonais réside dans l’organisation de la Coupe du monde 2019. La curiosité est grande autour de la sélection nationale qui se doit désormais de confirmer le potentiel entrevu quatre ans auparavant. Le chef d’orchestre ne s’appelle plus Eddie Jones, devenu sélectionneur de l’Angleterre, mais Jamie Joseph. Pourtant la partition n’a pas changée. Un plan de jeu parfaitement défini, basé sur la vitesse, le mouvement avec des joueurs qui multiplient les efforts tout le long des 80 minutes, sans jamais baisser d’intensité. Dans une poule extrêmement ouverte, les Brave Blossoms savent que le moindre faux pas est interdit car il risque de coûter très cher. Il est donc nécessaire d’avoir une organisation sans faille, et c’est précisément la force des japonais.

Pour le match d’ouverture, les hommes de Joseph ne subissent pas la pression et parviennent à se défaire aisément de la Russie en match d’ouverture, grâce notamment à un triplé de l’ailier Kotaro Matsushima (cf image), meilleur marqueur d’essai de ce mondial avec cinq essais inscrits. La grande épopée est lancée.

Le deuxième match les opposent à un des favoris de la compétition : l’équipe d’Irlande, toujours difficile à jouer. Nous assistons à une vraie opposition de style entre le jeu frontal des irlandais et celui fait de dynamisme des japonais. Et c’est à la surprise générale que les outsiders nippons vont l’emporter en ayant renversé les irlandais 19 à 12. La victoire avec bonus offensif (au moins 4 essais inscrits) contre les Samoa permet aux hommes du capitaine Michael Leitch d’être premiers de leur groupe à la veille du match capital contre les écossais. Le contexte autour du match va rendre ce dernier atypique. Nous sommes au coeur du typhon Hagibis, l’un des plus puissants de ces cinquante dernières années. L’annulation du match qui entrainerait une qualification des japonais et un retour à la maison pour les écossais est grandement envisageable. La semaine entourant le match est très mouvementée, l’Ecosse faisant pression pour que ce match se joue. Et il se jouera finalement bel et bien, et à la date prévue. La rencontre est d’une intensité incroyable et voit les japonais prendre les devants à la pause avec quatorze points d’avance et un jeu toujours aussi enthousiasmant. Mais l’Ecosse réagit et revient à sept points du Japon. Grace à un courage incroyable, les nippons vont endiguer les offensives adverses et préserver leur avantage jusqu’au bout. L’émotion est immense : le Japon a réussi sa mission d’atteindre les quarts, en restant invaincu de surcroît. La performance est tout simplement historique. Quelque soit le résultat du match contre l’Afrique du Sud dimanche à 12h15 heure française, le monde du rugby est définitivement tombé sous le charme de cette formation japonaise.

Le développement pourtant inachevé du rugby japonais

Cependant cette ascension fulgurante est le fruit d’un paradoxe assez singulier. En effet le rugby japonais est loin d’être un rugby parfaitement structuré et organisé. La professionnalisation de ce sport n’est pour l’instant qu’au stade de projet, soit celui de la création d’une Top League pour 2021, un championnat japonais de douze clubs situés dans les douze villes hôtes de cette coupe du monde. Aujourd’hui un championnat japonais de seize équipes existe déjà, suite à une réforme datant de 2003. Toutefois ce championnat, bien qu’en partie professionnalisé notamment avec l’introduction de contrats professionnels pour les joueurs, est géré par les entreprises du pays. Pour comprendre cette organisation il faut remonter à l’après guerre, période durant laquelle les grandes entreprises nippones ont instauré le rugby d’entreprise. Une fois la journée de travail terminée, les employés chaussaient les crampons et s’entraînaient généralement entre 18 et 20 heures. Ainsi de grands groupes industriels tels que Toshiba, Yamaha ou Toyota assurent la gestion de ces équipes. Pour les patrons d’entreprises, bien qu’extrêmement passionnés par le ballon ovale, cette situation est difficilement soutenable car posséder une équipe de rugby au japon n’est absolument pas rentable. Les entreprises investissent à perte, notamment car les stades sont loin de faire le plein. Les dépenses annuelles du rugby japonais s’élevaient en 2017 à 28,6 milliards de yens (242 millions d’euros), ce qui équivaut au troisième budget le plus élevé au monde, derrière le Top 14 et le championnat anglais, mais pour un gain de seulement 3,8 milliards de yens (32 millions d’euros). Une réforme semble donc indispensable.

L’autre tentative de développement du rugby japonais fut la fondation en 2015 de l’équipe des Sunwolves. Cette équipe a obtenue une place dans le Super Rugby, championnat réunissant les 18 meilleurs équipes de l’hémisphère sud. Mais là encore c’est plutôt un constat d’échec qui s’impose. En effet cette franchise a toujours terminé le championnat à la dernière place, alors que les joueurs qui la composent sont les mêmes que ceux de la sélection nationale. L’équipe ne fera d’ailleurs plus partie du Super Rugby en 2020.

Enfin la fédération japonaise de rugby connait une stagnation de son nombre de licenciés. Avec un peu moins de 110 000 licenciés, le pays organisateur de la coupe du monde n’est plus le premier pourvoyeur de rugbymen sur le continent asiatique car dépassé par la Chine. On peut néanmoins penser qu’avec les résultats de l’équipe nationale et l’engouement populaire autour du mondial cette situation risque de s’inverser.

Ainsi la progression du rugby japonais demeure particulièrement fascinante et n’est certainement pas terminée compte tenu du vaste chantier auquel doit faire face la fédération. On n’a certainement pas encore fini de parler du rugby japonais.

Mathias BABIN

Crédits photo : AFP/Odd Andersen/AP/Ashley Western/William West

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