Kurdes et Turcs, l’explication !

Le 9 octobre dernier, on apprenait que Recep Tayyip Erdoğan, l’actuel président de la Turquie lançait une offensive contre les Kurdes, localisés dans le Nord de la Syrie. Cette dernière a été permise grâce à l’accord formel du président américain. La cohabitation entre Turcs et Kurdes était déjà difficile, cet acte n’a fait qu’affirmer cette relation hostile entre les deux peuples. Pour comprendre ce conflit il est nécessaire de faire une petit retour en arrière.

Qui sont les Kurdes ?

Les Kurdes sont un peuple d’Orient, ils se considèrent comme les héritiers des Mèdes qui ont conquis le Moyen-Orient au 7ème siècle avant J-C. Ce qui justifie leur présence dans la région. Ils partagent une langue (le kurde), une culture ainsi que des traditions, ce qui leur confère une certaine unité et ils peuvent donc être considérés comme un peuple à part entière. Les Kurdes sont répartis sur 4 pays : Iran, Irak, Turquie, Syrie. De cette localisation ils ont majoritairement hérités de la religion musulmane sunnite. On compte de 30 à 40 millions de Kurdes dans le monde ce qui en fait le peuple apatride le plus important du monde.

 

Les Kurdes, le peuple malchanceux

C’est au 16ème siècle que naît l’idée d’une reconnaissance des Kurdes et donc la création d’un Kurdistan, un territoire qui leur serait propre. Le problème étant, que ce peuple n’est pas présent sur un seul pays mais bien sur quatre, ce qui rend difficile la répartition du territoire.

Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, suite à la chute de l’empire Ottoman que les Kurdes ont de nouveau espoir en la création d’un Kurdistan. En effet, les puissances occidentales délimitent de nouvelles frontières avec le Traité de sèvre (1920) et l’idée d’un Kurdistan y est mentionnée. Ce n’est sans compter sur la réticence des nations voisines qui refusent. Le Kurdistan n’existe pas.

Enchaînant refus sur refus, les Kurdes vont aussi être victimes de persécutions entre tortures, massacres et déportation ; leur situation n’est pas des plus joyeuses.

 

Les Kurdes, figure de la lutte pour l’indépendance

Tout au long du 20ème siècle ils ne vont cesser de crier à l’indépendance. Mais leur appel ne sera jamais entendu, d’autres conflits occupent la scène internationale et étouffent leur demande. Néanmoins les Kurdes ne renoncent en rien à leur idéal : Un Kurdistan. A travers la fondation de partis politiques indépendantistes, présent sur chaque territoire (Syrie, Turquie, Iran, Irak), ils vont perpétuer leur lutte.

En Syrie, on trouve Les unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du PYD (Parti de l’Union Démocratique) et cibles du président Turc ces dernières semaines, un parti fondé en 2011. Les Kurdes disposent de leur propre armée, les fameux Peshmerga, nom donné à tous les combattants Kurdes quel que soit le pays. En Syrie le YPG est principalement engagé dans la lutte contre l’Etat Islamique, leur rôle à été central, même si la coalition internationale, menée par les Etats-unis leur ont aussi prêter main forte. Ils ont donc conquis progressivement les territoires jusqu’à s’établir sur une large zone appelée Rojava, ou Fédération démocratique de la Syrie du Nord, sur laquelle ils investissement les centres du pouvoir économique ou administratif du pays et tendent dès lors vers l’autonomie. De 4 à 5 millions de Kurdes peuplent cette région.

 

La Rojava, une source de conflits

Cette zone est convoitée par Erdoğan qui y lance, en 2016 une première opération militaire pour ce qui semble attaquer les dernières positions de l’Etat Islamique. En réalité il s’agit d’empêcher les Kurdes de s’emparer davantage de cette zone. Ce front turco-kurde se stabilise alors en mars 2017.

En 2018, le président Turc lance une seconde offensive, cette fois ci les Kurdes capitulent et évacuent la ville d’Afrine au Nord-Ouest de la Syrie. Après cette victoire Erdoğan souhaite maintenir et accroître sa présence en attaquant la totalité du Rojava et établir une “zone de sécurité” aussi appelée “zone tampon”. Toutefois une présence militaire occidentale dissuade toutes nouvelles opérations Turque..

Décembre 2018… Mais ce n’est sans compter sur le président américain qui décide de retirer la totalité de ses troupes armées dans la Syrie Nord suite à une discussion téléphonique avec Recep Tayyip Erdoğan.

Par la suite, Washington a modéré ses propos et évoque finalement un retrait “progressif” de ses troupes.

Néanmoins, c’est 6 octobre 2019 que la Maison Blanche enfonce le clou et annonce le retrait de ses troupes. “Les forces américaines ne vont pas soutenir ou être impliquées dans l’opération, et les forces américaines qui ont vaincu le “califat” territorial de l’Etat islamique (EI) ne seront plus à proximité immédiate.”

Ce qui donne le champs libre à Erdoğan. Ce dernier qui considère le YPG comme un parti terroriste veut agir et le fait savoir : “Il est absolument hors de question pour nous de tolérer plus longtemps les menaces provenant de ces groupes terroristes.” Évoquant ici le YPG.

 

9 octobre 2019 : Le président Turc n’a pas attendu longtemps pour lancer son opération baptisée “source de paix” (paradoxal non ?). “L’armée nationale syrienne” qui n’a rien à voir avec l’armée de Bachar El Assad et qui est même contre le régime syrien, supervise cette opération. Parmi ses soldats : des supplétifs (soldats engagés temporairement pour soutenir l’armée en place), djihadistes ou radicaux ont été recrutés. D’après Erdoğan, l’opération aurait pour but de sécuriser le côté turc de la frontière turco-syrienne. Mais en réalité il veut avoir un contrôle sur cette région en évinçant les Kurdes syriens et éviter que cette quête de l’indépendance des Kurdes prenne par en Turquie. Cette zone lui permettrait aussi de renvoyer les réfugiés syriens présent en Turquie, ils sont près de 3 millions.

Dès lors les réactions fusent. L’Union Européenne qualifie l’offensive d’Erdoğan “d’immorale” tant le YPG a oeuvré dans la lutte contre le terrorisme en Syrie. Mais l’attaque a déjà commencée, des villes abritant des Kurdes sont bombardées entraînant le déplacement de milliers de personnes.

Pris au piège, les Kurdes demandent de l’aide auprès de la coalition internationale : “Nous appelons nos alliés à s’acquitter de leur devoir et à assumer leur responsabilités morales.” Porte parole des forces démocratiques syriennes.

Et ce n’est que par une faible action que la France va répondre : l’arrêt des ventes d’armes à la Turquie, sachant que leur approvisionnement en arme ne vient pas, pour la plus grosse partie, de France.

Les “gendarmes du monde” réagissent eux aussi en sanctionnant Ankara. Trump annonce le 14 octobre une série de mesures majoritairement commerciales à l’encontre de la Turquie lui suggérant de mettre fin à l’attaque des Kurdes.

 

Répercussions européennes

Le conflit turco-kurde n’est pas qu’intérieur, il traverse aussi les frontières. En  France 20 000 manifestants ont défilés le samedi 12 octobre à Paris selon les organisateurs.

Lors du match France/Turquie le 14 octobre, les joueurs Turcs ont, pour célébrer leur but, procédé au salut militaire en soutien à l’armée Turque. D’ailleurs, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait annulé sa présence au stade de France pour dénoncer l’offensive Turque.

En Allemagne, où est présente une grande communauté kurdes, on parle de 10 000 manifestants à Cologne selon l’agence de presse DPA. Ces regroupements ne sont pas sans conséquences, lundi dernier des tensions ont éclaté à Hern en Allemagne entre Turcs et Kurdes. Dès lors on évoque “saccage de commerces, agression au couteau, insultes”.

Tout cela même si 4 jours plus tôt, le 17 octobre, Mike Pence, vice président américain, obtient la suspension de l’offensive durant 5 jours jusqu’au mardi 22 octobre. En Syrie ça n’a pas non plus calmé les tensions puisque que des affrontements ont eu lieu vendredi 18 octobre à Ras al Aïn, ville frontalière du Nord syrien.

Il faudra attendre le 22 Octobre pour qu’un accord soit conclu. Vladimir Poutine arrive alors tel un véritable héros diplomate et médiateur des relations mondiales en convaincant le président Turc d’arrêter son offensive “à ce stade il n’existe pas de besoin de mener une nouvelle opération” évoque Erdoğan. En effet les Kurdes s’étaient préalablement retirés de la zone de sécurité. Les Kurdes sont donc les éternels perdant, depuis des siècles ils tentent d’obtenir leur indépendance, sans succès. Quand à la Turquie elle contrôle aujourd’hui une large zone allant de Aïn Issa à Tal Tamr.

Suite à cet accord, Donald Trump a annoncé depuis la Maison Blanche ce mercredi, la levée des sanctions prévues contre la Turquie.

Bilan et conséquences

Cette crise n’aura pas été sans conséquences. Elle aura causé le déplacement de plus de 160 000 personnes depuis le début de l’offensive ainsi que 200 morts civils.

Elle questionne aussi sur un possible retour de l’Etat Islamique (EI). En effet, la Rojava renferme plusieurs camps de détenus djihadistes. Lorsqu’ils étaient présent, les Kurdes surveillaient les prisons mais suite à leur départ, on peut craindre qu’ils s’échappent et se réorganisent pour frapper de nouveau en Syrie mais aussi en Europe.

Samedi 13 octobre, on apprenait par les autorités Kurdes que près de 800 proches de membres de l’Etat Islamique avaient fui.

 

Crédits photo : Question internationales n°12 / L’Humanité / Le point / Giphy / AFP.

 

Noa Darcel

 

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