Journalisme : les objectifs des nouvelles générations

Plus d’un siècle après l’affaire Dreyfus et dans un contexte qui connaît mouvements sociaux et protestations, la presse paraît s’imposer plus que jamais comme acteur de la vie politique et démocratique d’un pays. La méfiance de l’opinion publique envers les médias s’affirme néanmoins comme obstacle à l’information. Quels pourraient alors être les objectifs des nouvelles générations de journalistes ?

 

Le 29 juillet 1881, la liberté de la presse est décrétée en France. En pleine affaire Dreyfus, l’opinion publique se déchire : d’un côté les dreyfusards qui revendiquent l’innocence de Dreyfus dans l’affaire d’espionnage que l’on connaît tous, de l’autre, les antidreyfusards. Dreyfus finit par être innocenté après avoir été emprisonné en Guyane. Pourquoi citer ce cas ? Et bien parce que cette crise a démontré et affirmé le rôle de la presse et des médias dans la vie politique, notamment avec une lettre ouverte qu’Émile Zola adresse au président de la République via les colonnes de l’Aurore. Cette lettre, c’est J’Accuse.

 

Aujourd’hui, la privatisation de certains groupes de médias, les liens existants avec des personnalités politiques, la corruption de certains médias font perdre au travail des journalistes, plus que du crédit, la confiance de l’opinion publique. Or, à l’ère des réseaux sociaux, la presse devrait pouvoir se placer en vérificateur incontestable des informations accessibles à tous et, surtout, diffusées par tous. Il est alors clair que les nouvelles générations de journalistes doivent évoluer en relevant le défi de reconquérir la confiance des lecteurs, de redorer la réputation de la presse, de retrouver une place d’informateurs plus que d’influenceurs. Le défi est également de « séduire » à nouveau un lectorat qui s’informe davantage sur les réseaux sociaux que par les médias traditionnels. Aujourd’hui, la diffusion de l’information n’est plus réservée aux journalistes, au contraire, elle échappe à leur contrôle.

 

Comment pourraient-elles procéder ?

 

Tout d’abord, même si le traitement de l’actualité sur les réseaux sociaux relève plus de l’infotainment que de l’information brute, il ne faut pas négliger le caractère attractif et attirant de ces médias qui tentent de réconcilier les jeunes avec l’actualité. Les médias traditionnels se tournent d’ailleurs de plus en plus vers le décryptage de l’actualité plutôt qu’uniquement l’énonciation de faits. En réalité, pour que l’objectif de la nouvelle génération de journalistes soit atteint, ne faut-il pas viser particulièrement les nouvelles générations de lecteurs, de téléspectateurs, d’auditeurs ? Les nouvelles générations qui alimentent le débat public ?

Néanmoins, au nom du divertissement, deux niveaux sont peut-être à identifier : la « mauvaise information », pas sourcée, pas vérifiée, sur laquelle certains journalistes s’appuient depuis les réseaux sociaux et la « bonne information » qui tire profit et utilise l’outil réseau social pour une diffusion plus large.

 

Ensuite, la méfiance envers les médias ne pourrait-elle pas s’atténuer en abandonnant la pseudo-objectivité journalistique, de plus en plus délaissée par les journalistes, qui laisse la place à l’omission et à la décontextualisation ? Les jeunes d’aujourd’hui semblent être engagés dans de nombreux combats (féminisme, environnement, lutte contre le racisme, lutte contre les violences policières, plus généralement défense de la condition des minorités, des droits de l’homme, etc.). On cherche à se faire entendre, respecter, à être reconnus. Il est alors, à mon sens, important d’utiliser cet élan collectif, caractéristique de la jeunesse de 2020, comme celui de 1968. Les nouveaux journalistes n’auraient-ils ainsi pas intérêt à aborder l’actualité selon la façon dont ils l’ont vécu plus que selon la façon dont le pouvoir voudrait qu’elle soit relatée ? D’ailleurs en parlant de pouvoir, les médias ne devraient-ils pas œuvrer pour abandonner leur image de 4ème pouvoir ? N’auraient-ils pas intérêt à faire appel à une subjectivité plus importante ?

 

D’autant plus que la subjectivité entraîne le questionnement, celui du rédacteur, mais également du lecteur. Ce dernier partira ainsi plus naturellement à la conquête d’informations complémentaires, qui donnent un autre point de vue, indispensable à la compréhension complète et profonde d’un événement.

 

Le journalisme gonzo, extrémisme de la subjectivité journalistique, en est la preuve. Presque comme une nouvelle, un essai, un pamphlet, un feuillet ultra-subjectif interroge son lecteur, amuse ou énerve, expose un réel point de vue, une opinion, permet d’affiner les esprits critiques. Et le but de l’information, de la presse, des médias, ne devrait-il pas être celui-ci ? Ne devrait-il pas être celui qui donne des outils pour alimenter les décisions, les choix de chacun, indispensables à la démocratie, plutôt que de limiter ces mêmes outils au nom de la neutralité journalistique ? Répétons-le, le but de la presse contemporaine, des nouveaux journalistes ne devrait-il pas être de retrouver leur rôle d’informateur plutôt que d’influenceur ?

 


Journalisme Gonzo (définition par SensAgent – Le Parisien) :

Méthode d’investigation journalistique axée sur l’ultra-subjectivité, inventée par Bill Cardoso. Popularisée par Hunter S. Thompson avec, par exemple, l’écriture de Hell’s Angels: The Strange and Terrible Saga of the Outlaw Motorcycle Gangs, s’était intégré dans un groupe de Hell’s Angels, était devenu motard et avait adopté leurs conditions de vie pendant plusieurs mois.

Le parti pris par le journaliste gonzo est d’informer le plus possible son lecteur sur la nature et l’intensité des facteurs « déformant » son point de vue. Ainsi il peut, en faisant appel à son sens critique, recomposer ensuite une image vraisemblable de la réalité. Décrire les ondulations d’un miroir aide à retrouver la forme réelle du reflet anamorphosé qu’il projette. Il s’agit, pour l’auteur, d’assumer jusqu’au bout la subjectivité de son propos.


 

Camille Hurcy

 

Crédits photo : Pexels

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