Implant Files : le journalisme accompli dans un scandale mondial

Le scandale des Implant Files a été révélé il y a un peu plus d’une semaine maintenant, dimanche 25 novembre à 18h, heure française par 59 médias répartis dans 36 pays. Le travail d’investigation, entamé en mars 2018 par les membres partenaires du Consortium International des journalistes d’Investigation (ICIJ), a émaillé la semaine de l’actualité en France et dans le monde. Un organisme déjà à l’origine des révélations des Paradise Papers fin 2017 et qui a donc encore « donné un coup de pied dans la fourmilière », celle de l’industrie médicale cette fois-ci. Implant Files entre sur la scène médiatique huit ans après l’affaire des prothèses mammaires défectueuses commercialisées par PIP. Rien n’aurait donc changé ? L’ICIJ, une entité encore discrète, tente à allier les meilleurs journalistes d’investigation à travers le monde pour parvenir cette fois à faire bouger les lignes publiques, politiques et européennes.

Un nouveau scandale d’envergure

« On part de rien, si ce n’est du constat qu’il n’y a pas de données, surtout en Europe, sur les dysfonctionnements des implants médicaux. » commente Émeline Cazi, journaliste d’investigation du quotidien Le Monde ayant participé à l’enquête. Implant Files, c’est une enquête qui commence en 2014 lorsqu’une journaliste néerlandaise découpe un filet de mandarines et monte un faux dossier autour afin de faire passer l’emballage pour un implant destiné à des patients humains. Le but était de voir ce qu’en diraient quelques organismes parmi les soixante existants en charge d’accorder le marquage permettant la commercialisation du dispositif. La supercherie fonctionne. Le mot est faible sachant que le dossier a volontairement été bourré de fautes et mettait en avant que le dispositif – toujours celui des filets de mandarines – mettrait en danger la vie d’une femme implantée sur trois. Le label Communauté Européenne (CE) délivré par ces sociétés privées à but lucratif est pourtant accordé à la journaliste par trois d’entre elles. « Le seul contrôle c’est le fameux marquage CE. » et c’est donc de là que part l’affaire.

L’enquête organisée des journalistes du Consortium commence en mars 2018 et réalise très vite que de nombreuses défaillances émaillent le système de l’implant chirurgical. Les anomalies constatées sur des patients ayant été implantés se comptent par milliers voire plus, en Europe mais également en France. « Le fait qu’on ne soit pas capable de dire quel implant pose problème et de retrouver les patients c’est un manquement majeur de la puissance publique. » constate Stéphane Horel, elle aussi journaliste du Monde ayant collaboré avec le Consortium sur les investigations. En 2017, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a répertorié 18.000 incidents signalés par des patients implantés dans notre pays. Un second problème apparaît donc, celui de la traçabilité des implants et des patients opérés. Avant Implant Files, il n’existait aucune base de données mondiale fiable répertoriant dispositifs médicaux et défaillances. « Dans la plupart des cas, on n’a pas pu récupérer les documents publics. » témoigne Stéphane Horel. Il a donc été très difficile pour les 252 journalistes mobilisés d’avoir accès aux données des organismes nationaux.

L’investigation collaborative

Émeline Cazi ajoute : « On a mis des mois à avoir accès à la base de l’ANSM. Leur base n’était pas assez renseignée, on s’est demandé comment ils pouvaient travailler à partir de ça. » Le scandale touche donc aussi largement la France. Un fait nuancé par Agnès Buzyn mardi 27 novembre sur France Inter, quand la ministre de la Santé, se voulant rassurante, déclare que le pays avait déjà su mettre en œuvre des dispositifs de contrôle protégeant la commercialisation de produits défaillants. Pourtant, en France comme en Europe, l’implant demeure historiquement moins contrôlé que le médicament. L’implant se développe à partir des années 1970 dans un contexte de libéralisation du marché et bénéficie de peu d’entraves. Un contrôle moindre qui justifie donc les nombreux problèmes pointés par l’enquête co-pilotée par l’ICIJ. « L’enquête ne fait pas qu’apporter des informations » commente Jacques Monin, directeur de la cellule investigation de Radio France. Là où Implant Files va plus loin c’est qu’elle érige une base de données mondiale à partir des informations et défaillances collectées pour permettre aux patients concernés d’avoir accès à la traçabilité de leur dispositif. « On a été plus de 1.500 personnes pour récupérer tous ces documents » note Stéphane Horel. Un travail d’envergure démarré en mars 2018 depuis le siège de l’ICIJ à Washington. La réunion tenue là-bas en avril dernier a permis de fixer les grandes lignes de l’enquête et d’établir la date des révélations. « C’est du journalisme collaboratif. On avance tous ensemble. On n’a pas une vision franco-française. » démontre Émeline Cazi. Le Consortium constitue une rédaction à part, où les journalistes ne sont justement pas en compétition mais en collaboration. Un vrai « plus » pour leur travail individuel au sein d’un organisme sans lequel le scandale n’aurait pas eu un tel retentissement.

Bras de fer pour l’information

Le Consortium a été créé en 1997 par un organisme public étasunien avec pour but « d’inspirer et construire une communauté mondiale de reporters et lecteurs convaincus de l’apport positif du journalisme. » Devenue indépendante en 2017, l’organisation a obtenu le prix Pulitzer l’année précédente pour les révélations sur les Panama Papers, scandale mondial d’évasion fiscale. On retrouve à chaque fois la même marque au Consortium : le silence, aucune communication, et puis d’un coup, la révélation au grand public du travail de longue haleine mené par les collaborateurs à travers le monde. Une confidentialité d’autant plus nécessaire à une époque d’hyper-circulation de l’information, mais que le Consortium a jusqu’ici toujours réussi à préserver. « Tous les journalistes fonctionnent sur la confiance, et ça fonctionne bien. » témoigne Émeline Cazi. Les journalistes mutualisent leur travail pour nourrir une investigation qui dépasse leur rédaction propre. Un travail sur l’enquête Implant Files qui n’a d’ailleurs pas encore livré toutes ses révélations. Des articles et témoignages vont continuer à paraître, notamment dans les colonnes du Monde côté français. Depuis que l’enquête est sortie, dimanche 25 novembre, les journalistes ont déjà subi des freins dans leur progression. La loi sur le secret des affaires protégeant les informations des entreprises sur les produits qu’elles commercialisent, a pour la première fois dans le pays été invoquée par un organisme public, et ce dans le cadre des Implant Files. « C’est une loi qui a aboutit avec le lobbying. » commente Émeline Cazi, et qui risque d’entraver le travail d’investigation du Consortium à l’avenir.

 

Maxime Giraudeau

maximegir17@gmail.com

 

Crédits photo : Christina Chung

 

Comprendre le scandale en détail : https://www.youtube.com/watch?v=kbFnah4PitI&t=137s

Les derniers articles et contenus sur le sujet : https://www.lemonde.fr/implant-files/

L’ICIJ : https://www.icij.org/

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