Cahiers de doléances : la tentative de l’exercice citoyen

Déclinaison du Grand Débat national, les cahiers de doléances ont fleuri en ce début d’année 2019 dans de nombreuses communes rurales et urbaines à travers le pays. Et pourtant à Pessac, commune de la périphérie bordelaise d’un peu plus de 60.000 habitants, ce sont bien les administrés qui ont les premiers réclamés un support d’expression, selon les dires de Fabien Leroy, directeur de cabinet du maire. Les cahiers sont accessibles et consultables, une exception dans l’agglomération. Une fois encore, l’initiative part d’en bas.

 

« Nous n’avions pas reçu de consignes de la préfecture. » souligne t-il, insistant sur le caractère auto-organisé de la démarche. Les pessacais voient apparaître dans leur mairie les cahiers de doléances le mercredi 9 janvier, soit cinq jours avant la diffusion de la lettre aux français du président Emmanuel Macron. L’idée ne vient donc pas du gouvernement ou des députés, elle est née dans les mairies et au sein des réclamations citoyennes. « Des cahiers de doléances, et de l’espérance. » telle fut la formulation utilisée par Alain Juppé lors de ses vœux pour la nouvelle année, lorsque le maire de Bordeaux annonce la mise en place du dispositif dans toutes les mairies de quartier de la capitale girondine. De mémoire d’élu et de citoyen on n’avait pas souvenir d’une telle démarche, si directe et propagée. « J’avais participé au Grenelle de l’Environnement (2018, ndlr), mais là c’est totalement différent. » note Daniel, retraité. L’on s’organise donc d’une part en interne, et de l’autre on avance à tâtons, dans l’inédit. Pourtant, une poignée de sujets se dégage déjà et semble revenir dans les réclamations.

 

Daniel est donc retraité, habitant de Pessac, et est venu ce matin dans sa mairie pour voir ce que ses concitoyens avaient à dire dans les cahiers. « Je vois comment ça se présente et je préparerai mon topo ensuite. ». Ce sont d’ailleurs pour l’immense majorité des retraités qui ont rempli le cahier de doléances à Pessac. « Le succès est mitigé, nous n’avons qu’une cinquantaine de contributions. » constate Fabien Leroy. Voilà pourquoi il n’y a pour l’instant qu’un seul cahier. Pas de quoi développer le dispositif dans les autres mairies de quartier ou dans de nouveaux lieux publics. « La mairie, qui est la maison du peuple, c’est une bonne solution. » affirme Martine, elle aussi retraitée. Les cahiers de doléances symbolisent à eux seuls le lien de confiance et le succès de la relation de proximité cultivée par les maires et leurs équipes municipales depuis de nombreuses années. Un climat apaisé qui contraste donc avec ce qu’on peut lire et qui s’adresse plutôt aux pouvoirs centralisés. Septennat et mandat unique du président, instauration de la proportionnelle, diminution du nombre d’élus parlementaires et organisation de l’emblématique référendum d’initiative citoyenne (RIC), telles sont les réclamations qui reviennent presque systématiquement au rayon démocratie. « Les gens reconnaissent les personnes élues localement. La proximité est permanente, elle n’est pas qu’un slogan de campagne. » ce qui explique selon Fabien Leroy que les élus locaux soient directement épargnés par les doléances.

 

Côté économie, les contributeurs vont dans le même sens avec une baisse sur la TVA, une redéfinition des tranches d’impôts, une revalorisation des pensions de retraite et le retour du disparu ISF. Les sujets reviennent dans au moins deux doléances sur trois. Il y a aussi la transition écologique, qui est l’un des quatre objets du Grand Débat et le point de départ des mobilisations des citoyens en jaune qui s’opposaient à la hausse des taxes sur le carburant – on a aujourd’hui dépassé, et de loin, cet unique cadre. Mais là, les voix se font bien moins entendre. Pas un mot sur les énergies renouvelables, pas de proposition pour l’alimentation et pas de réflexion sur l’avenir des villes. Sur une quarantaine de lettres de doléances signées par les pessacais, seules trois évoquent le chapitre écologique. « Fin du monde, fin du mois, c’est le même combat. », pas si sûr au vu des contenus rédigés ici ; la grogne est avant tout sociale. « Il y a un espoir très concret pour les citoyens, le pire serait que ça n’ait servi à rien. » annonce Fabien Leroy. L’espoir des cahiers de doléances sera remonté vers les instances nationales, ni sélectionné ni synthétisé, mais bien telles qu’ont été formulées les revendications. Bernard, lui aussi retraité venu à la mairie, note d’ailleurs que « donner une date d’exécution pour la mi-mars, cela paraît bien court au vu du nombre de communes qu’il y a en France. ». Il y aura effectivement de la lecture pour les fonctionnaires qui auront la tâche de collecter les données.

 

A Pessac, on est conscient qu’il existent d’autre façons de créer le débat, tout ne s’exprimera pas à l’écrit. Une réunion d’initiative locale se tiendra le 25 février, afin de réaliser de nouvelles contributions, oralisées cette fois. On est aussi conscient de ce public majoritairement âgé qui vient dans les mairies ; les générations plus jeunes ont aussi leur moyen d’expression avec la consultation nationale par internet. Et les citoyens qui sont venus ce matin faire couler un peu d’encre sur les quelques pages blanches proposées, croient-ils au Grand Débat ? « Je n’y crois pas, c’est piégé d’avance avec des questions interdites. Je ne vois pas comment on va interpréter la multiplicité des idées. » affirme Daniel. « Le moment est venu de passer à l’action. Je pense que c’est un pis-aller mais il faut tenter. » commente ici Martine. Un pis-aller, ce à quoi l’on se résout faute de mieux et qui pourrait apporter quelques surprises.

 

 

Maxime Giraudeau

maximegir17@gmail.com

Crédits photo : Maxime Giraudeau

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