Affaire Xavier Dupont de Ligonnès : nouveau chapitre d’une traque romanesque

Avec une intrigue digne des plus grands polars, l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès a refait surface récemment suite à un article sensationnaliste du Parisien, qui a réalisé après coup l’erreur monumentale qu’il avait commis en apprenant le lendemain que l’homme arrêté n’était pas le présumé meurtrier recherché par toutes les polices d’Europe. Mort ou toujours en cavale selon les divers scénarios possibles qui courent à son sujet, Xavier Dupont de Ligonnès comptera à son actif une nouvelle victime, les médias français, dont la crédibilité vient d’être fortement remise en cause. L’occasion de revenir sur huit ans d’une traque semée de faux espoirs.

Le quintuple meurtre

Le 21 avril 2011, a lieu la découverte qui fera débuter toute l’affaire. Cinq corps sont exhumés de la propriété de Xavier Dupont de Ligonnès, tous sont des membres de sa famille, à savoir sa femme Agnès, et leurs quatre enfants, Arthur, Thomas, Anne et Benoît. L’absence du corps du père de famille donne alors matière à réfléchir. Les jours qui suivent donneront à l’homme le titre de suspect numéro un. Pour cause, les rapports d’autopsie révèlent que le drame s’est produit entre le 3 et le 5 avril, puis des vidéo-surveillances d’une banque à Roquebrune-sur-Argens montrent avec certitude le suspect retirant de l’argent quelque jours après, le 14 avril. De plus, quelques jours avant la découverte des victimes, les employeurs du fils ainé et de la mère reçoivent des lettres expliquant leur absence par une mutation de Xavier Dupont de Ligonnès en Australie. Des proches de la famille se voient remettre eux aussi une lettre, mais celle-ci expliquant le départ en trombe de la famille à cause de la soi-disant double vie de Xavier, en tant qu’agent secret pour le compte de la DEA (le service fédéral américain de la lutte anti-drogue), qui s’est vue obligée de s’exiler aux Etats-Unis dans le cadre du programme de protection des témoins. Ce papier en particulier insiste vivement sur le fait qu’il est inutile de chercher à les joindre et donne des directives à chacun, comme si la situation paraissait anodine.

A partir de là commence une véritable chasse à l’Homme. Les enquêteurs parviennent à retracer une partie du parcours de la fuite de Xavier Dupont de Ligonnès, entre la date du crime, le 3 ou 5 avril, et celle où il a été vu pour la dernière fois, le 14 avril. Il aurait séjourné dans un hôtel à Blagnac, aux alentours de Toulouse, dans la nuit du 11 au 12 avril, puis se serait à nouveau arrêté la nuit suivante à l’auberge de Cassagne, un autre hôtel situé dans le Vaucluse. Sa dernière demeure connue fut un hôtel Formule 1 de Roquebrune-sur-Argens, où il avait été filmé pendant qu’il effectuait un retrait d’environ trente euros. Cette somme serait la dernière qu’il ait retirée sur son compte bancaire afin de couvrir sa fuite, ce qui semble surréaliste pour suffire à un homme recherché.

L’effroyable affaire choque au vu de « l’exécution méthodique » mentionnée dans les rapports d’autopsie. En effet, les victimes avaient toutes reçues deux balles tirées avec précision en plein tête, et s’étaient faites droguer avant le passage à l’acte de leur meurtrier. Les corps avaient également été enduits de chaux, afin d’accélérer la décomposition des tissus humains en couvrant l’odeur de putréfaction, puis soigneusement enroulés dans des draps pour être dissimulé sous la terrasse de la maison à Nantes. Ces détails glaçant pousseront les enquêteurs à organiser des battues dans le Var, et à fouiller les cavités des roches de Roquebrune-sur-Argens, non loin de l’endroit où Xavier Dupont de Ligonnès avait été aperçu pour la dernière fois.

Un courrier énigmatique

Depuis 2011, des avancées ont été réalisées dans l’enquête à l’encontre de Xavier Dupont de Ligonnès. Tout d’abord, le 12 mars 2011, il avait acheté un silencieux et des cartouches pour sa carabine dans une armurerie de Nantes. Il avait aussi à plusieurs reprises pu s’entrainer dans un stand de tir appelé « Charles des Jamonières ». Autre preuve accablante, un ticket de caisse d’un magasin de bricolage indiquant qu’il aurait acheté une grande quantité de chaux et de ciment dans les jours précédant le crime.

Malgré ces éléments, le potentiel meurtrier reste introuvable, la police commence alors à se questionner sur sa mort hypothétique. Mais en juillet 2015, une lettre manuscrite est envoyée au bureau de l’AFP (Agence France Presse) à Nantes. Le message très étrange qui y figure interpelle les journalistes. Il est écrit : « je suis encore vivant ». Le courrier est signé Xavier Dupont de Ligonnès, et une photo de l’aîné de la fratrie, Arthur, accompagne le mystérieux document. Les nombreuses expertises réalisées dessus ne permettront malheureusement pas d’établir que Xavier Dupont de Ligonnès ait pu en être l’auteur. A ce jour, la véritable personne derrière cette lettre n’a toujours pas été identifiée.

Le sosie

En octobre 2016, des recherches sont menées dans la commune de Néris-Les-Bains, dans l’Allier. Un habitué du casino des lieux ressemblant apparemment à Xavier Dupont de Ligonnès, avec à l’appui des images de vidéo-surveillance, fait l’objet de plusieurs signalements. L’homme sera finalement interpellé durant sa venue aux machines à sous de l’établissement, pour être entendu par les enquêteurs.

Un verdict assez amer tombe rapidement, il s’agit d’un énième sosie. Ce cas est représentatif d’un problème majeur, car selon les policiers en charge de l’affaire, Xavier Dupont de Ligonnès a un physique des plus banals, ce qui peut facilement porter à la confusion. Ce physique et son style vestimentaire lambda explique en grande partie les plusieurs centaines de signalements reçus par la police depuis le début de l’affaire, menant pour la plupart à des fausses pistes en France, et dans d’autres pays.

Un monastère pris d’assaut

Une vaste intervention policière est lancée en janvier 2018, de nouveau dans la commune de Roquebrune-sur-Argens, au sein du monastère Saint-Désert-des Carmes, qui n’avait alors jamais été fouillé par les enquêteurs les années précédentes lors des nombreuses recherches de la police dans plusieurs monastères et couvents de France. Des éventuelles pistes se basaient alors sur les valeurs religieuses de la famille de Ligonnès, et sur la fréquentation de forums catholiques par Xavier Dupont de Ligonnès lui-même. Les enquêteurs ont longtemps envisagé la piste selon laquelle il se serait réfugié dans un monastère, lieu qui garantit la discrétion et semble idéal pour un fugitif.

L’opération est donc très prise au sérieux par les policiers qui encerclent en grand nombre le monastère, font survoler la zone par un drone, et passent l’ensemble de l’institution religieuse au peigne fin pendant plus de quatre heures, en vain. Les fidèles qui pensaient l’avoir aperçu, s’étaient laissé avoir par le frère Jean-Marie Joseph, moine résidant au monastère.

Les derniers rebondissements

Un peu évincée du devant de la scène au fil des mois après le coup d’éclat du monastère en 2018, l’affaire a récemment fait un retour remarqué dans les médias ce 11 octobre 2019. La première annonce est faite par Le Parisien, qui publie un article à 20h40, intitulé : « Xavier Dupont de Ligonnès : comment les policiers ont retrouvé sa trace ?», en étant confiant quant à la fiabilité de plusieurs sources françaises dites haut placées. A 21h, l’AFP confirme l’information. Cette nouvelle va alors donner lieu à un important engouement médiatique, les médias relayant tous une même information selon laquelle Xavier Dupont de Ligonnès avait été arrêté à l’aéroport de Glasgow, en Ecosse. La police écossaise affirme elle-même être pratiquement sûre de tenir le vrai et l’unique suspect, dont les empreintes seraient identiques à celles de Xavier Dupont de Ligonnès.

Il faudra attendre le lendemain pour que les analyses ADN rendent cette information totalement caduque et disculpent définitivement l’homme arrêté à tort, se prénommant Guillaume Juao, et qui s’est retrouvé pris par hasard dans le chaos d’une affaire irrésolue depuis huit ans.

Cet événement est représentatif d’un intérêt médiatique sur ce type d’affaire, dont l’horreur ne peut qu’attiser notre curiosité, qui peut paraître déplacée, mais qui témoigne aussi de notre abjection pour les histoires inachevées. Rares sont ceux qui débutent un roman, une série, ou un film en ayant à l’esprit que la fin leur sera à jamais inaccessible. Notre esprit nous pousse toujours à nous interroger sur les raisons d’une série d’actes comme ceux-ci, quelle(s) motivation(s) assez forte(s) a pu avoir Xavier Dupont de Ligonnès pour commettre l’impardonnable, de façon préméditée et avec une minutie hors pair ? Comment un homme lambda, un père de famille, un mari, peut réaliser ce que nous nous refusons même à imaginer ? Ces choses-là fascinent et laissent chacun libre d’élaborer son propre scénario, du plus alambiqué, avec la préparation de la tuerie et la cavale méticuleusement organisée, au plus simple qui voudrait que Xavier Dupont de Ligonnès se soit suicidé de manière à ce qu’on ne retrouve jamais son corps.

Une question reste donc en suspens, est-il mort depuis longtemps, ou coule-t-il encore des jours heureux quelque part ? Certains se sont déjà risqués à y répondre, avec par exemple une docu-fiction diffusée par M6 en décembre 2018, intitulé : « Dans la tête du suspect », qui proposait un épilogue suicidaire en se terminant par une scène où Xavier Dupont de Ligonnès mettait fin à ses jours, allongé dans un caveau et introuvable à jamais. Malgré toutes ces suppositions, le mystère reste entier et l’enquête en cours est vouée à perdurer pendant encore un an, 3 ans, 10 ans, ou plus, personne non plus n’a la réponse à cette interrogation.

Crédits photo : Paris-Match/ AFP/ Ouest-France/ Franceinfo

Joaquim Tissot

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